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RAPPORT DU GROUPE D'ÉTUDE
SUR LES OPÉRATIONS DE PAIX DES NATIONS UNIES *

"RAPPORT BRAHIMI"

par
Matthieu Monin

Doctorant à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne

 

Résumé : A la demande du Secrétaire général des Nations Unies, un groupe d'experts s'est penché sur les échecs de l'Organisation dans le domaine du maintien de la paix. Les points faibles du système onusien sont clairement identifiés, particulièrement la question des mandats attribués aux opérations de paix, et la constitution des contingents multinationaux. Les solutions passent toutefois par une implication financière et matérielle des Etats-membres plus grande, qui n'est pas acquise.

 

Abstract : At the United Nations' General Secretary's request, a panel of experts studied the failures of the Organization in the field of peacekeeping. The weak points of the UN system are clearly identified, especially the question of the mandates given to peace operations, and the setting up of multinational forces. Solutions will require a greater financial as well as material effort, which is far from granted.

 

Impression et citations : Seule la version au format PDF fait référence.


 

L'année 2000 est propice aux introspections et aux bilans, et l'ONU ne fait pas exception à cet égard. A l'occasion de l'Assemblée du Millénaire, le Secrétaire général M. Kofi Annan a demandé à un groupe d'experts la rédaction d'un rapport au sujet ambitieux : "Etude d'ensemble de toute la question des opérations de maintien de la paix sous tous leurs aspects" (Ci-après "rapport Brahimi"). Composé de diplomates ayant tous participé, à des degrés divers, aux opérations de maintien de la paix dans la dernière décennie, le groupe d’experts a rendu son rapport public à la fin du mois d'août, quelques jours avant l'ouverture de la session de l'Assemblée générale. Partant du constat de l'échec de l'Organisation dans le domaine du maintien de la paix, le rapport Brahimi préconise d'importantes réformes, à tous les niveaux des Nations Unies.

 

Notons tout d'abord que le rapport rendu s'intitule "Rapport du groupe d'études sur les opérations de paix des Nations Unies". Il n'est plus uniquement question de maintien de la paix. Tirant les leçons de l'extension des mandats de l'Organisation à des opérations d'imposition ou de reconstruction de la paix, les rapporteurs utilisent tout au long du document le terme "d'opérations de paix", ne spécifiant maintien, imposition, ou construction de la paix que dans les cas où une telle distinction s'avère nécessaire.

 

Mais la plus grande des surprises à la lecture du rapport Brahimi est sans doute le ton employé, dénonçant sans fard les erreurs de l'Organisation. Il s'ouvre ainsi : "L'Organisation des Nations Unies a été fondée, selon la Charte, pour "préserver les générations futures du fléau de la guerre." Relever ce défi constitue la fonction la plus importante de l'Organisation (...). Au cours des 10 dernières années, l'ONU a connu plusieurs échecs face à ce défi, et elle n'est guère en mesure de faire mieux aujourd'hui." Ce constat amer est développé tout au long du document, comme une exhortation à adopter les mesures proposées par le Rapport, et immédiatement reprises par le Secrétaire général.

 

Dans cet éventail de mesures, deux points cruciaux ont spécifiquement attiré notre attention : le problème des mandats donnés aux opérations dans les résolutions du Conseil de sécurité, dont l'imprécision est souvent cause de graves problèmes pour le personnel sur le terrain ; et la question du déploiement des forces multinationales, élément décisif de l'efficacité d'une opération.

 

 

I. - LES MANDATS DES OPÉRATIONS DE PAIX

 

 

Depuis le "réveil du Conseil de sécurité", généralement daté de la crise du Golfe, celui-ci exerce de manière exclusive ses compétences en matière de maintien de la paix. L'Assemblée générale, qui a pu, par le passé, déclencher sans résolution du Conseil certaines opérations de maintien de la paix (FUNU I, FSNU), semble politiquement dépossédée d'un tel pouvoir par l'activisme du Conseil, et particulièrement de ses membres permanents, désireux de garder le pouvoir de décider d’une opération de paix.

 

Composé de diplomates, représentant les intérêts particuliers des Etats, limité par le veto, le Conseil ne décide que par consensus (au moins entre ses membres permanents). Les effets d'une telle procédure sur la qualité des textes débattus sont connus : afin d'obtenir une résolution, il est souvent nécessaire d'être ambigu dans la formulation, plus encore lorsque le sujet divise.

 

Les mandats donnés aux opérations de paix en sont un exemple frappant. Le rapport Brahimi décrit les processus propres aux opérations de paix qui accentuent cette tendance à l'ambivalence : souvent le mandat et les détails fondamentaux d'une opération sont abordés dans les premières phases des pourparlers de paix, auxquels l'ONU n'est pas toujours partie. Il est en effet fréquent de voir un ou plusieurs des membres permanents s'impliquer plus avant que les autres dans la résolution d'un conflit, et mettre en place des forums spécifiques ou seront débattues les options pour la paix (groupes de contact, clubs divers, G7+1, ...) Les solutions qui sortent de ces forums alternatifs sont ensuite déposées devant le Conseil qui souvent ne peut que les "ratifier", sans les modifier.

 

Ainsi la résolution 1244 qui décide de l'envoi d'une opération de paix au Kosovo, la MINUK, donne à celle-ci mandat de mettre en place "(...) un accord-cadre politique intérimaire prévoyant pour le Kosovo une autonomie substantielle, qui tienne pleinement compte des Accords de Rambouillet et des principes de souveraineté et d'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et des autres pays de la région, et la démilitarisation de l'ALK." La mission est aussi chargée plus loin de "mettre en œuvre un pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est avec une large participation internationale en vue de favoriser la démocratie, la prospérité économique, la stabilité et la coopération régionale." Les accords de Rambouillet avaient été marqués par l’absence de tout représentant de l'ONU, pourtant chargée de les appliquer.

 

Il apparaît à la lecture du rapport que le personnel des Nations Unies sur le terrain a besoin de directives plus précises afin de mener sa mission à bien. Certes, les diplomates du Conseil de sécurité sont des politiques, et n’ont pas pour fonction de rédiger des instruments juridiques précis. Mais toutes les résolutions sont étudiées par des experts juridiques avant de recueillir l'assentiment des grandes puissances. Cette expertise ne pourrait-elle pas aller plus loin dans le cadre des résolutions créant des opérations de paix, tirant partie des expériences passées, et permettre la rédaction de textes d'une meilleure qualité, prenant en compte les besoins du personnel sur le terrain ?

 

Actuellement, afin de remédier à ces inexactitudes, la pratique a donné au plus haut fonctionnaire des Nations Unies sur le terrain la compétence pour interpréter les résolutions, compétence dont il a largement été fait usage. Des frictions en sont nées entre la mission et les autres autorités locales. Cette solution s'impose par des considérations d'efficacité, le personnel sur le terrain étant le plus à même de juger rapidement des besoins de la mission. Mais ce type de solution n'est pas satisfaisant dans les cas où les factions locales n'ont accepté de coopérer qu'à la suite d'une intense pression internationale, dans un cadre précisément délimité. Si elles ont la sensation que l'ONU ne respecte pas sa parole, ils se sentiront déchargés de la leur, et la mission sera en péril.

 

L'imprécision des mandats des missions de paix est plus gênante peut-être au quotidien, dans le cadre des règles d'engagement. Celles-ci sont rédigées par les Etats-Majors nationaux, et précisent les circonstances et les limites dans lesquelles la force peut être utilisée. Il n'y a pas, à ce niveau, de règles uniformes, et chaque contingent a ses propres règles d'engagement, qui changent à chaque opération. Ces règles reçoivent traditionnellement peu de publicité, mais un accident lors de la mission ONUSOM II a permis de mettre en lumière certains dysfonctionnements. Les forces armées canadiennes ont en effet connu plusieurs problèmes, et certains soldats ont fait usage de la force sur des civils au-delà d'une juste proportionnalité, ce qui a fait surgir la question des circonstances de l'engagement des troupes canadiennes sur le devant de la scène politique. Le débat public qui a suivi a permis de mettre en lumière le mode d'élaboration des règles d'engagement, leur application sur le terrain, et les problèmes spécifiques posés par les missions de police données aux casques bleus.

 

Afin de rédiger des règles d'engagement, deux types d'informations sont requises : la nature des menaces auxquelles les soldats seront confrontés ; puis le mandat qui leur est confié, et la question cardinale pour les militaires : devra-t-il y avoir une utilisation proactive de la force (dans les cas de désarmement de factions, ou d'imposition de la paix), ou bien celle-ci doit-elle se réduire aux cas de légitime défense ? Seul le mandat, donné par la résolution approuvant la création de la mission, peut fournir des indications à ce sujet. Les mandats imprécis qui semblent la règle favorisent les interprétations divergentes au sein des divers Etats-Majors, qui risquent d'avoir des effets néfastes sur le terrain. Les accidents de la mission ONUSOM II illustre s'il en était besoin, les dangers des approximations lorsqu'en dernier recours un soldat doit décider, dans une situation concrète, d'utiliser son arme.

 

Critiquant l’imprécision des mandats, se réjouissant des intentions affichées de mieux protéger les civils, le rapport aurait pu se pencher sur la question de ces règles d’engagement. Il est certainement temps, dans le cadre des brigades multinationales, de mettre en place des règles d'engagement communes aux différents contingents. Cela permettrait peut-être du même coup une réflexion d'ensemble sur le droit humanitaire applicable aux casques bleus.

 

 

II. - LE DÉPLOIEMENT DES FORCES DE PAIX MULTINATIONALES

 

 

L'article 43 de la Charte prévoit la mise à disposition par les Etats membres de forces armées dans le but de constituer une véritable armée internationale. Cette disposition sera enterrée par la guerre froide. En pratique, les Etats "prêtent" des troupes lorsqu'ils le souhaitent et que le Secrétaire général le leur demande, en fonction des besoins des missions. Si ce compromis a permis l'existence des opérations de maintien de la paix dans un premier temps, il comporte de nombreux inconvénients.

 

Le premier d'entre eux est la lenteur du déploiement des forces. Il est pourtant reconnu que les 6 à 12 semaines suivant la signature d'un accord de paix sont cruciaux. Tout retard pris dans cette période handicapera grandement l'Organisation. Mais lorsque le Conseil décide de déployer une force, il charge en fait le Secrétaire général de démarcher les Etats membres afin qu'ils acceptent de fournir les troupes requises. Ces discussions, souvent longues et laborieuses, retardent le déploiement des missions sur le terrain.

 

Cette question ne s'est réellement posée qu'à partir des années 1990, lorsque le nombre et le volume des opérations de maintien de la paix ont prodigieusement augmenté. La solution alors retenue a été d'instaurer des forces "en attente", les Etats mettant à disposition certaines unités ainsi que des moyens logistiques. Dorénavant, lorsqu'une opération est décidée, le Secrétaire général peut alors demander l'envoi de ces troupes sur le terrain, les Etats gardant le choix de refuser. Et selon le rapport : "nombre d'entre eux répondent bien plus souvent "non" que "oui" aux demandes de déploiement d'unités militaires" (§ 103).

 

La rapidité du déploiement des forces est un défaut grave du système onusien, et qui a plusieurs fois remis en cause sa crédibilité. Plusieurs pistes de réformes sont explorées. Tout d'abord, le rapport fixe à l'ONU un objectif ambitieux vu ses moyens, mais indispensable à ses succès futurs dans ce domaine : déployer les éléments militaires de ses missions en 30 jours, et la totalité d'une mission en 90 jours. Tenir un tel objectif serait une réussite indéniable des Nations Unies. Le rapport ne se permet malheureusement pas de proposer les réformes radicales qui seraient nécessaires, certain du refus des membres permanents.

 

Tout d’abord, le groupe d’experts n'a pu que constater à nouveau le refus des Etats de créer une force multinationale permanente. Aucun grand Etat ne souhaite voir ses soldats dirigés par un commandement international, sans maîtriser les missions qui leur seront assignées. Cette position est constante depuis de nombreuses années chez les membres permanents du Conseil, et il semble peu probable qu'elle évolue dans un futur prévisible. Ce sont les mêmes causes qui empêchent la mise en œuvre de l'Etat-major permanent prévu à l'article 43 de la Charte. Un tel organe permettrait certainement d'améliorer le fonctionnement et le déploiement des opérations de paix. Sa constitution n'est pas évoquée dans le rapport, afin d'éviter un refus frontal des membres permanents qui semble presque inévitable, mais de larges développements sont consacrés aux moyens à la disposition du siège et du département des opérations de maintien de la paix qui pourraient remplir des fonctions analogues. On y découvre les ressources ridiculement limitées des Nations unies (une dizaine de fonctionnaires chargés de l'appui opérationnel et logistique à 27.000 soldats sur les quatre continents...) et de nombreuses propositions de réformes, notamment la mise en place d'un service de renseignements, qui fait aujourd'hui cruellement défaut, et le renforcement des effectifs du siège.

 

Dans l'attente, le rapport Brahimi préconise la mise sur pied par des groupes d'Etats de forces multinationales de la taille d'une brigade (4.000 hommes), dotée d’une interopérabilité importante. Cela correspond en tous points aux objectifs donnés par l'Union Européenne à son Corps de Réaction Rapide, qui devrait pouvoir déployer jusqu'à 15 brigades (60.000 h.) en 60 jours. D'autres interrogations surgissent alors : de telles forces régionales pourraient-elles intervenir hors de leur région d'origine ?  Dans la négative, le risque est élevé de voir les alliances régionales devenir les « agents de l'ordre » dans leur aire d'influence, l'ONU étant liée à leur bon vouloir, le refus de fournir des troupes équivalent en fait à un veto.

 

Une fois de plus, l'ONU est suspendue au bon vouloir de ses membres. La seule solution imaginée par le rapport Brahimi est de reporter l'adoption d'une résolution décidant du déploiement de casques bleus jusqu'à ce que le Secrétaire se soit assuré de disposer des troupes requises, en qualité et en quantité. Cela permettrait, au moins, d'éviter les résolutions déclaratoires dans lesquelles certains Etats soutiennent d'une main le déploiement d'une opération de paix, tandis que de l'autre, ils lui refusent les financements nécessaires au sein de commissions moins médiatisées que le Conseil.

 

Ainsi, le 21 septembre, le Conseil devait voter l'accroissement de la MINUSIL. Constatant l'absence de contingent prêt à rejoindre le terrain, l'adoption de la résolution a été reportée. Depuis, cette résolution n'est pas intervenue, mais l'Inde a fait part de sa volonté de retirer de Sierra Leone ses propres troupes. Si l’on ne peut se réjouir de ces faits, ils permettent au moins de faire cesser l’hypocrisie de certains des membres permanents.

 

Au terme de ce long rapport, les Etats sont interpellés en termes vifs : les conditions actuelles ne permettent pas le succès des opérations de paix. Les problèmes sont connus, ainsi que les remèdes. Il ne manque que la volonté politique de voir l'ONU devenir un instrument efficace au service de la paix.

 

 

10 octobre 2000

 

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© 2000 Matthieu Monin. Tous droits réservés.

MONIN M. - "Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix des Nations Unies. Rapport Brahimi". - Actualité et Droit International, octobre 2000 (http://www.ridi.org/adi).


NOTES

* Document A/55/305 – S/2000/809. Vous trouverez toutes les informations concernant le Rapport sur le site des Nations Unies, à l'adresse suivante : http://www.un.org/french/peace/reports/peace_operations/

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