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Entretien relatif à l'affaire du Pérou
avec Antônio Augusto CANCADO TRINDADE

Président de la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme

Entretien réalisé en octobre 1999 et traduit de l'espagnol par Sonia Parayre. 

Sujet de l'entretien : dénonciation par la Pérou de la compétence de la Cour Interaméricaine des droits de l’homme.

 

Note importante : Les opinions exprimées ici ne sauraient être considérées comme reflétant la position officielle de la Cour Interaméricaine, et n'engagent que leur auteur.

 

Impression et citations : seule la version au format PDF fait foi.

Présentation des faits :

 

En juin 1999, la Sala Plena du Conseil suprême de Justice militaire et la deuxième Chambre Criminelle Transitoire XX de la Cour suprême ont déclaré inexécutables respectivement le jugement au fond de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Castillo Petruzzi, et le jugement en réparation dans le cas Loayza Tamayo, qui condamnaient le Pérou.

Suite à ces décisions, le Congrès péruvien a adopté le 8 juillet 1999 une loi par laquelle le Pérou retire la déclaration de reconnaissance de la compétence contentieuse de la Cour Interaméricaine, avec effet immédiat. Une résolution dans ce sens a été déposée au Secrétariat général de l’Organisation des Etats Américains le jour suivant.

La Commission interaméricaine avait entre temps interjeté appel devant la Cour de deux affaires : Ivcher Bronstein (le 31 mars 1999) et Tribunal Constitucional (le 2 juillet 1999). Dans ces deux affaires, l’Etat défendeur a renvoyé à la Cour les dossiers le 16 juillet 1999 et le 4 août 1999, refusant de participer à la procédure contentieuse.

 

La Cour a néanmoins décidé de poursuivre l’examen des affaires pendantes, et s’est prononcée sur ces deux espèces lors de la session de septembre 1999, à l’issue de l’audition des représentants de la Commission, des témoins, en dépit de l’absence des représentants de l’Etat péruvien.

 

Que pensez vous du retrait par le Pérou de la reconnaissance de la compétence contentieuse de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme ?

 

Dans deux sentences du 24 septembre 1999 rendues dans les affaires Tribunal Constitucional et Ivcher Bronstein, la Cour Interaméricaine a déclaré inadmissible la prétention de l’Etat péruvien de retirer avec effet immédiat la reconnaissance de la compétence contentieuse de la Cour. Dans son examen, la Cour distingue deux types d’actes étatiques : les actes unilatéraux parfaits, qui se suffisent à eux-même (comme la reconnaissance d’un Etat ou d’un gouvernement, la protestation diplomatique, la promesse, la renonciation) d’une part, et les actes unilatéraux soumis au droit des traités, régis et conditionnés par celui-ci (comme la ratification, les réserves, l’acceptation de clause facultative de compétence obligatoire d’une juridiction internationale) d’autre part. La Cour considère que la déclaration péruvienne relève de la deuxième catégorie, d’autant plus que la Convention Américaine est muette sur cette question. Le système de protection des droits de l’homme ne saurait être à la merci de limitations imposées subitement par un Etat partie pour des raisons d’ordre interne.

 

 

Comment, à votre avis, peut s’opérer le retrait du Pérou (dénonciation de la Convention américaine ou seulement de la clause de reconnaissance de la compétence de la Cour) ?

 

La Convention américaine ne prévoit pas le dénommé ‘retrait’ unilatéral d’une clause, et encore moins de la disposition fondamentale qui a trait à l’acceptation de la compétence contentieuse de la Cour. L’unique possibilité est par conséquent la dénonciation en bloc de la Convention, après un délai de 12 mois, sans préjudice des faits commis antérieurement à cet acte. Ce délai est identique à celui prévu par la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. Il s’agit d’un impératif de sécurité juridique qui doit être rigoureusement observé dans l’intérêt de tous les Etats parties à la Convention.

 

 

Cela signifie-t-il que la Cour continuera à examiner les affaires pendantes contre le Pérou ?

 

Exactement, et il ne pourrait pas en aller autrement. En effet, il s’agit d’un devoir que la Convention américaine elle-même impose à la Cour comme organe judiciaire autonome de protection internationale des droits de l’homme. En outre, il s’agit d’un compromis international assumé par l’Etat péruvien duquel il ne peut subitement s’extraire, de surcroît selon ses propres termes. Le prétendu ‘retrait’ unilatéral de l’Etat péruvien avec ‘effet immédiat’ n’a aucun fondement juridique, ni dans la Convention Américaine, ni dans le droit des traités, ni d’ailleurs en droit international général. Cette prétention est non seulement infondée, mais elle occasionnerait en outre la ruine du système interaméricain de protection construit avec ardeur tout au long des dernières décennies.

 

 

Quelles sont, à votre avis, les obligations du Pérou quant aux affaires pendantes ?

 

Le Pérou continue d’être un Etat partie de la Convention américaine soumis à la compétence contentieuse de la Cour. Il doit par conséquent respecter l’obligation d’exécuter les décisions de la Cour le concernant, en vertu de l’article 68.1 de la Convention. C’est pourquoi le Pérou a, comme tous les autres Etats parties à la Convention, l’obligation d’exécuter toutes les décisions de la Cour, y compris celles relatives aux affaires pendantes. Le non respect de cette obligation constitue dans les cas d’espèce une violation additionnelle de la Convention. Avec les deux sentences du 24 septembre 1999 Tribunal Constitucional et Ivcher Bronstein, la Cour a sauvegardé l’intégrité de la Convention Américaine, laquelle, comme tous les traités de droits de l’homme, fonde la mise en œuvre du mécanisme international de protection sur la garantie collective des droits consacrés.

 

 

Enfin quel doit être, selon vous, l’organe qui peut se prononcer sur cette dénonciation (la Cour elle même, le Secrétaire général de l’Organisation des Etats Américains, ou un autre) ?

 

La Cour est l’unique organe compétent pour se prononcer sur ce point. Dans ses deux sentences du 24 septembre 1999 précitées, la Cour a remarqué que sa compétence ne peut être soumise à l’édiction d’un acte extérieur, qui ne releve ni de sa propre initiative, ni de sa procédure. La Cour va plus loin en considérant que l’Etat, en reconnaissant sa compétence contentieuse, accepte par la-même d’être soumis à la juridiction de la Cour. Cette reconnaissance implique que seule la Cour a compétence pour décider de toute question qui concerne et affecte ladite compétence. L’Etat ne peut par conséquent se retirer brusquement sous peine de porter atteinte au mécanisme international de protection. La Cour, en résumé, a la compétence de la compétence, et dans n’importe quelle circonstance est maîtresse de celle-ci.

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