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Note d'actualité

 

Applicabilité des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses Protocoles en Bosnie-Herzégovine

 

par

Emmanuelle Cerf

OSCE Mission en Bosnie-Herzégovine

Juriste spécialiste des droits de l'homme

 

 

Impression et citation : seule la version au format PDF fait référence.

 

 

Le 24 avril 2002, la Bosnie-Herzégovine est devenue le 44e Etat membre du Conseil de l’Europe[1]. Les dispositions de la Convention européenne et de ses Protocoles sont donc aujourd’hui directement applicables en droit bosniaque. Il en était toutefois de même auparavant, bien que la Cour de Strasbourg n'était pas compétente – avant l'adhésion de la Bosnie-Herzégovine - pour recevoir les plaintes fondées sur le droit interne bosniaque. Un tel paradoxe, créé par l’existence même de la Chambre des droits de l’homme mise en place par les Accords de Dayton[2], demeure unique en son genre. Le fait que la Bosnie-Herzégovine n'était pas un membre à part entière et ne bénéficiait que d’un statut d’invité spécial au Conseil de l’Europe pendant une certaine période ne préjugeait en effet en rien de l’applicabilité des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et de ses protocoles additionnels en droit interne.

 

 

I. – L’applicabilité directe des dispositions de la Convention européenne

 

 

Les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et de ses Protocoles étaient – déjà avant l'adhésion de la Bosnie-Herzégovine - directement applicables en droit interne bosniaque, en vertu des articles II § 2 de l’Annexe 4 (Constitution de la Bosnie-Herzégovine) et de l’article I de l’Annexe 6 (Accord relatif aux droits de l’homme) des accords de Dayton. L’incorporation était ainsi consacrée par la Constitution de la Bosnie-Herzégovine (article II § 2 de l’Annexe 4), par la Constitution de l’entité Fédération de Bosnie-Herzégovine (l’article II § 2 de la Constitution renvoie à son Annexe, qui établit une liste de vingt conventions internationales et européennes applicables dans l’entité, dont la Convention de Strasbourg), alors que celle de l’entité Republika Srpska énonçait que certains droits devaient être interprétés conformément aux dispositions des articles 8 à 11 de la Convention de Strasbourg (article 49 §§ 3 et 5 de la Constitution de la Republika Srpska)[3].

 

Le paradoxe résidait donc dans le fait que la Bosnie-Herzégovine n’étant pas membre à cette époque du Conseil de l’Europe, la Cour européenne n’était pas compétente pour connaître des différends survenus à la suite de l’application du droit bosniaque.

 

Les juges bosniaques étaient déjà fortement encouragés à utiliser les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses Protocoles. Elles pouvaient notamment être d’un grand secours au regard de la vétusté des dispositions présentes dans les deux codes pénaux et les deux codes de procédure pénale existant à ce jour. En effet, chaque entité - la Fédération et la Republika Srpska - a son propre système juridique et ses propres lois. La Fédération s’était dotée d’un code pénal et d’un code de procédure pénale en 1998. Quant à la Republika Srpska, elle avait gardé le code de procédure pénale de l’ex-Yougoslavie de 1977 en y apportant des amendements et avait adopté un code pénal en 1992 fortement inspiré de celui de l’ex-Yougoslavie. A terme, un code pénal unique et un code de procédure pénale unique – dont les élaborations sont en cours – devraient voir le jour. L’esprit de la Convention européenne devrait inspirer la refonte de ces deux nouveaux codes.

 

Toutefois, à défaut d’être utilisées au quotidien par les juges locaux, les dispositions de la Convention servaient déjà de fondement juridique aux décisions rendues par la Chambre des droits de l’homme, qui statue en dernier ressort. Les juges étaient fortement incités par la communauté internationale à appliquer les standards tels qu’énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme. Jusqu'à ce jour tout au moins, la communauté internationale avait tout pouvoir sur les juges locaux. Ainsi, le 4 avril dernier, le Haut Représentant décidait de suspendre l’emploi des juges et procureurs en Bosnie-Herzégovine, ce qui s’inscrivait dans la réforme judiciaire en cours pour les années 2002 et 2003. Il est en effet prévu que le corps judiciaire soit démis de ses fonctions (hormis les juges de haut niveau tels que ceux de la Cour Constitutionnelle) et que ne soient autorisés à réintégrer le corps que les magistrats les plus compétents. Leurs performances sont notamment évaluées grâce aux rapports rédigés par le personnel des organisations internationales travaillant sur place.

 

 

II. – Une application directe consacrée par la Chambre des droits de l’homme 

 

 

Alors que la Cour européenne n’était alors pas compétente pour connaître des différends issus du droit interne, la Chambre des droits de l’homme pouvait être considérée comme l’organe de mise en oeuvre des dispositions de la Convention de Strasbourg, dans la mesure où ses décisions ne se fondent exclusivement que sur les dispositions de la Convention européenne et où sa jurisprudence tend à s’aligner sur celle de la Cour européenne.

 

Cette Chambre des droits de l’homme a été créée par les Accords de Dayton (Annexe 6) dans le cadre de la Commission des droits de l’homme qui comprenait le bureau du Médiateur (Ombudsman) et la Chambre des droits de l’homme. Ses composition, compétence et procédure sont définies par les Accords de Dayton. Cette juridiction est une émanation directe du Conseil de l’Europe, ce qui apparaît nettement au regard notamment de sa composition et de sa compétence rationae materiae.

 

Ainsi, l’article VII de l’annexe 6 de ces Accords prévoit que la Chambre est constituée d’un total de quatorze membres : quatre choisis par la Fédération de Bosnie-Herzégovine, deux par la Republika Srpska et le reste par le Comité des Ministres du Conseil, dont l’un en sera le président, le tout pour une durée de cinq années renouvelables[4].

 

La Chambre des droits de l’homme était – et, semble-t-il, reste - compétente pour connaître de toute requête concernant des allégations de violations des droits de l’homme apportée par une « Partie, personne ou ONG ou de tout groupe de personnes se prétendant victime d’une violation du fait d’une Partie ou agissant au nom de victimes qui seraient décédées ou auraient disparues » (Article VIII de l'Annexe 6 des Accords de Dayton), sur le fondement des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et de ses Protocoles ou encore d’un certain nombre de discriminations citées à l’article II § 2 b de l’Annexe 6 des Accords de Dayton. Sa compétence rationae materiae est par ailleurs plus large que celle de la Cour européenne puisqu’elle peut connaître de toute sorte de discriminations pour lesquelles la Cour ne se déclarerait pas forcément compétente. En effet, la Chambre des droits de l’homme peut connaître, outre des allégations de violations des droits de l’homme reconnus par la CEDH, des allégations de discrimination ou de cas fondés sur « le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, l’opinion politique ou autre, l’origine nationale ou sociale, les liens avec une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre circonstance, dans la jouissance de l’un quelconque des droits ou de l’une quelconque des libertés reconnus dans les accords internationaux énumérés dans l’Appendice » (Article II § 2 de l’Annexe 6). L'Appendice couvre seize conventions internationales dont notamment la Convention pour la prévention et la répression du Génocide de 1948, les Conventions de Genève de 1949 et ses deux Protocoles, la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et son Protocole ou encore les deux Pactes Internationaux de 1966. La compétence rationae materiae de la Chambre des droits de l’homme dépasse ainsi de loin les éléments sur lesquels pourrait se fonder la Cour européenne des droits de l’homme.

 

En vertu de l’article XI § 3 de l’annexe 6 des Accords de Dayton, la Chambre rend des décisions définitives à force obligatoire, qui ont un impact direct sur la vie quotidienne. L’on peut citer l’exemple de la décision rendue le 12 octobre 2001 – sur révision (judicial review) d’une décision en date du 9 novembre 2000 - concernant la reconstruction de trois mosquées à Zvornik[5] détruites pendant la guerre. La Chambre des droits de l’homme s’était fondée sur l’article 9 de la Convention européenne (qui garantit la liberté de religion) et l’article 1er du Protocole I de la CEDH (droit de la propriété). Cette décision, largement contestée par la communauté musulmane, prévoyait le paiement d’une indemnité compensatoire et l’allocation de deux nouveaux sites de reconstruction par la municipalité dans le centre de la ville à la communauté musulmane. Deux des sites sur lesquels se trouvaient les mosquées sont aujourd’hui occupés, l’un par une église orthodoxe, l’autre par un bâtiment accueillant des commerces. La Chambre a décidé que sur ces sites ne pouvaient être reconstruites les mosquées mais que deux autres sites devraient être alloués pour la reconstruction des édifices religieux détruits. Le troisième site, encore constructible, n’abrite qu’un marché à la sauvette et un terre-plein faisant usage de parking. Sur celui-ci, la Chambre des droits de l’homme a décidé qu’une mosquée devrait être rebâtie. La communauté internationale devrait adopter une approche prudente pour ne pas heurter les sensibilités d’une population qui n’est peut-être pas encore prête à voir rebâtir un édifice religieux en plein centre ville. Elle éviterait ainsi que ne se reproduisent des émeutes telles que celles des 5 et 7 mai 2001 à Trebinje et Banja Luka, déclenchées par la pose de la première pierre de l’édifice religieux, qui avaient fait de nombreux blessés et donné lieu à l’évacuation des représentants locaux et internationaux.

 

 

III. - Une porte d’entrée au Conseil de l’Europe

 

 

Déjà en septembre 2001, le Haut représentant pour la Bosnie-Herzégovine, M. Wolfgang Petritsch[6], approuvait la décision du Comité des Affaires politiques du Conseil de l’Europe de recommander l’adhésion de la Bosnie-Herzégovine au Conseil, en pointant la perspective des prochaines élections d’octobre 2002, organisées par les autorités locales avec une aide minime de la communauté internationale. Le 22 janvier 2002, l’adhésion était acceptée par l’Assemblée Parlementaire en la présence du Premier ministre de la Bosnie-Herzégovine, M. Zlatko Lagumdzija. Et début avril, le Président du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe en visite officielle en Bosnie-Herzégovine, M. Antanas Valionis, se félicitait de la décision de la Chambre des Représentants de la Fédération de Bosnie-Herzégovine d’adopter l’ensemble des amendements constitutionnels et de l’Assemblée Nationale de la Republika Srpska (Narodna Skupština) d’en adopter une partie. Faisant suite aux décisions de ces deux Chambres, le Comité des Ministres a invité la Bosnie-Herzégovine à devenir le 44ème Etat membre du Conseil de l’Europe, ce qui fut fait le 24 avril 2002. Le 23 avril 2002, M. Antanas Valionis a souligné que cet événement constituait « à la fois une étape majeur et un défi »[7].

 

L’entrée de la Bosnie-Herzégovine au Conseil de l’Europe pourrait remettre en question l’existence même de la Chambre des droits de l’homme, à moins que cette dernière ne fusionne avec la Cour Constitutionnelle, au sein de laquelle une section spéciale serait alors établie[8]. Cette fusion a fait l’objet d’une proposition de loi de la Commission de Venise réunie lors de sa 48ème session plénière les 19 et 20 octobre 2001 (CDL-INF(2001)20), adoptée suite à des recommandations antérieures[9]. Elle ne résoudrait cependant pas le sort des affaires pendantes devant la Chambre des droits de l’homme. En effet, il n’est pas certain que la Cour de Strasbourg reprenne les affaires pendantes devant la Chambre. Dans ce cas, la saisine de la Chambre des droits de l’homme pourrait être considérée comme une voie obligatoire à épuiser préalablement à toute saisine de la Cour européenne comme prévu par l’article 35 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Et si la plainte déposée devant la Chambre était retirée, il n’est pas non plus certain que la Cour puisse rejeter la requête sur le fondement de l’article 35 § 1. Les premières jurisprudences bosniaques d’une Cour de plus en plus sollicitée éclairciront sans doute ces questions juridiques[10].

 

Le transfert au gouvernement bosniaque des institutions relatives aux droits de l’Homme – dont la Commission des droits de l’homme - devait s’effectuer dans les cinq années suivant la signature des accords de Dayton en vertu des annexes 6 et 7. A défaut, de nouveaux accords ont dû être signés le 10 novembre 2000 qui réglementent le travail des institutions, et ce jusqu’au 31 décembre 2003[11]. La signature de ces nouveaux accords démontre – si besoin était – que la communauté internationale n’a pas su correctement estimé la durée de son intervention sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine.

 

Outre l’établissement de nouvelles institutions par les Accords de Dayton, les organisations internationales présentes en Bosnie dispensent de nombreux séminaires de formation aux juges bosniaques, inexorablement amenés à se conformer aux dispositions de la Convention européenne[12]. Nombre d’entre eux adoptent souvent un comportement défensif vis-à-vis de leurs interlocuteurs internationaux, chargés de vérifier la bonne application du droit et la conformité aux instruments internationaux des droits de l’homme. Un tel comportement peut toutefois être compris de par le pouvoir de la communauté internationale à démettre la plupart des magistrats sur la base de leurs performances.

 

Avec l'adhésion de la Bosnie-Herzégovine au Conseil de l’Europe, ses trois millions et demi d’habitants rejoignent les quelque 800 millions de ressortissants des pays membres du Conseil et sont liés non plus simplement aux dispositions de la Convention de Strasbourg mais aussi à la juridiction de sa Cour. A l’instar des anciennes provinces yougoslaves[13], l’entrée au Conseil est, pour les citoyens de Bosnie-Herzégovine, le premier pas vers une Europe démocratique.

 

 

24 avril 2002

 

 


NOTES

 

[1] Cf. Conseil de l'Europe, Communiqué de presse 213f(2002) du 23 avril 2002, disponible sur le site du Conseil de l'Europe à l'adresse : [http://press.coe.int/cp/2002/213f(2002).htm].

[2] Les Accords de Dayton ont été signés le 14 décembre 1995. Ils sont disponibles en anglais sur le site Internet de l'OTAN, à l'adresse : [http://www.nato.int/ifor/gfa/gfa-home.htm].

[3] L’ex-Yougoslavie est aujourd’hui éclatée en cinq Etats : la Slovénie, la Croatie, l’ex-République de Macédoine, la Bosnie-Herzégovine [divisée en deux entités : la Fédération-regroupant majoritairement bosniaques et croates (administrativement divisée en dix cantons) et la Republika Srpksa-à grande majorité serbe] et la République Fédérale de Yougoslavie qui devrait être nouvellement proclamée Union de Serbie et du Monténégro.

[4] L’actuelle présidente de la Chambre des droits de l’homme est la juge française Michèle Picard.

[5] Situé à l’est de la Bosnie-Herzégovine, en Republika Srpska.

[6] Le Haut Représentant M. Wolfgang Petritsch sera remplacé par M. Peddy Ashdown dès le mois de juin 2002.

[7] Cf. Conseil de l'Europe, Communiqué de presse 213f(2002) du 23 avril 2002, disponible sur le site du Conseil de l'Europe à l'adresse : [http://press.coe.int/cp/2002/213f(2002).htm].

[8] La Cour Constitutionnelle est composée de 9 membres, dont 3 choisis par le Président de la Cour européenne, après consultation avec la Présidence, aujourd’hui assurée par M. Wolfgang Petritsch.

[9] La Commission européenne pour la démocratie par le droit – ou Commission de Venise – a été créée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 10 mai 1990 et joue un rôle important dans l’adoption de Constitutions en Europe de l’est. Pour plus d’informations, voir le site Internet de la Commission [www.venice.coe.int].

[10] Le président de la Cour, le Suisse Luzius Wildhaber, annonçait récemment que l'année 2001 « est une année où tous les records ont été pulvérisés », la Cour ayant enregistré 13 858 requêtes en 2001, soit une augmentation de 32 % par rapport à 2000. Propos tenus le 21 janvier lors d’une conférence de presse à Strasbourg. V. Le Monde, 21 janvier 2002.

[11] Article 1er A) des Accords du 10 novembre 2000.

[12] Cf. notamment le rapport de ICG (International Crisis Group) du 25 mars 2002, intitulé « Courting disaster : the misrule of law in Bosnia & Herzegovina », disponible sur le site Internet de l'ICG [www.crisisweb.org].

[13] Signature de la CEDH par la Croatie le 6 novembre 1996, ratification le 5 novembre 1997 ; Signature par la Slovénie le 14 mai 1993, ratification le 28 juin 1994 ; Signature par l’ex-République de Macédoine le 9 novembre 1995, ratification le 10 avril 1997. Entrées en vigueur les jours mêmes des ratifications.

 


 

Nous vous signalons sur la jurisprudence de la Chambre des droits de l'homme :

DECAUX Emmanuel. - "La Chambre des droits de l’homme pour la Bosnie-Herzégovine". - Rev. trim. dr. h., 2000, pp. 709 et ss.

 

Copyright : © 2002 Emmanuelle Cerf. Tous droits réservés.

Impression et citation : seule la version au format PDF fait référence.

Mode officiel de citation :

CERF E. - "Applicabilité des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses Protocoles en Bosnie-Herzégovine". - Actualité et Droit International, Note d'actualité, avril 2002. [http://www.ridi.org/adi].

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