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Entretien avec Fabien DUBUET
Adjoint au responsable juridique de Médecins Sans Frontières
Chargé de recherches à la Fondation Médecins Sans Frontières

LA Session 2002 de la Commission des droits de l'homme : une session au goût amer

(Genève, 18 mars - 26 avril 2002)

Entretien réalisé en juin 2002 par Sonia Parayre, Chef de Bureau adjointe et Conseiller juridique  - Bureau du Conseil de l’Europe au Kosovo (Pristina). 

Note importante : Les opinions exprimées ici ne sauraient être considérées comme reflétant la position officielle de Médecins sans frontières ou du Conseil de l'Europe, et n'engagent que leurs auteurs. 

Fabien Dubuet a participé à la rédaction du Dictionnaire pratique du droit humanitaire, par Françoise Bouchet-Saulnier (Paris, La Découverte, 2000). Cet ouvrage existe également en version anglaise et espagnole. Une traduction russe est prévue avec le soutien du Conseil de l’Europe.

Impression et citations : seule la version PDF fait foi.

 

La 58e session de la Commission des droits de l'homme qui s'est tenue à l'Office des Nations Unies à Genève du 18 mars au 26 avril 2002 s'achève sur un constat en demi-teinte, aussi bien d'un point de vue normatif qu'opérationnel. Comment percevez-vous le rôle et les travaux de la Commission à la lumière de cette dernière session ?

Partagez-vous le sentiment du Haut-Commissaire Mary Robinson qui y voit "une érosion du rôle de la Commission" ?

 

Il me faut d’abord préciser que la participation de Médecins Sans Frontières aux sessions de la Commission des droits de l’homme est exceptionnelle. Elle est réservée aux situations d’une particulière gravité. Pour mémoire, notre dernière participation remontait au génocide rwandais. A travers notre présence cette année lors d’un briefing conjoint avec plusieurs autres organisations humanitaires et de droits de l’homme, nous avons souhaité témoigner de la gravité et de la spécificité du conflit en Tchétchénie. Il est inadmissible que la Russie soit passée à travers les mailles du filet.

Au-delà de cet échec sur la Tchétchénie, le moins que l’on puisse dire, c’est que cette 58e session de la Commission des droits de l’homme laisse effectivement un goût amer. A l’exception de l’adoption du protocole additionnel à la convention sur la torture de 1984 qui permettra la mise en place d’un système international d’inspections surprises des lieux de détention, le bilan de cette année est calamiteux : de nombreux pays dans lesquels la situation des droits de l’homme est préoccupante ont échappé à une condamnation, le Proche-Orient - qui a mobilisé la moitié des débats - a donné lieu à des discussions houleuses mais sans résultats concrets, et les Etats ont réussi à réduire le rôle des rapporteurs spéciaux et des ONG qui sont pourtant les acteurs les plus efficaces et les plus indépendants au sein de la Commission. Les rapporteurs spéciaux n’ont disposé que de cinq minutes pour rendre compte de plusieurs mois d’enquête et certains d’entre eux ont vu leur mandat tout bonnement supprimé, si bien que l’on a assisté à une révolte publique de ces experts indépendants. Au total, on ne peut que partager l’analyse de Mary Robinson sur l’érosion du rôle de la Commission. C’est la crédibilité même de la Commission et sa capacité à assumer son mandat de promotion et de protection des droits de l’homme qui sont en jeu aujourd’hui.

 

 

Etes-vous de ceux qui jugent indispensable une réforme de la Commission ? Si oui, dans quelle direction ? Ne pensez-vous pas finalement que l'on assiste - en matière de droits de l'homme - à une inflation normative préjudiciable à leur mise en œuvre ? 

 

Je pense que la crise et l’affaiblissement de la Commission des droits de l’homme ressentis cette année sont étroitement liés à des facteurs conjoncturels. J’en vois deux principaux : d’une part, la composition 2002 de la Commission. De nombreux Etats membres n’étaient pas réputés pour leur respect des droits de l’homme et ils ont fait corps pour se défendre mutuellement et éviter les condamnations. On peut dire que cette stratégie a bien fonctionné. Par ailleurs, les Etats-Unis qui pour la première fois depuis 1947 n’étaient pas membres de la Commission, sont restés très en retrait. Leur statut d’observateur ne leur permettait certes pas de voter les résolutions, mais rien ne leur empêchait d’en déposer ou d’être actifs lors des négociations sur les textes. La diplomatie américaine n’a déposé aucune résolution sur la situation des droits de l’homme en Chine comme elle le fait traditionnellement et elle n’est pas non plus intervenue dans les tractations sur la condamnation de la politique russe en Tchétchénie.

Le deuxième facteur conjoncturel, c’est évidemment le contexte post-11 septembre. L’argument de la lutte anti-terroriste pour justifier les pires violations des droits de l’homme a joué à fond.

Ceci étant dit, il n’en demeure pas moins vrai que l’érosion de l’autorité et de la crédibilité de la CDH reste principalement liée à des éléments plus structurels qui témoignent de la nécessité de profonds changements. Toute réforme devrait chercher à accroître l’indépendance de la Commission et à renforcer son efficacité et sa proximité à l’égard des victimes des violations des droits de l’homme. La mise en œuvre de ces objectifs ambitieux passe par une modification de la composition de la CDH - les représentants des Etats devraient laisser leur place à des experts indépendants, comme dans tous les comités des droits de l’homme des Nations Unies -, un renforcement du rôle des procédures spéciales - rapporteurs spéciaux et groupes de travail -, une simplification de la saisine de la Commission par les personnes physiques et morales dans le cadre de la procédure 1503 et une association encore plus étroite des ONG aux travaux et débats de la Commission.

Je partage effectivement l’idée que l’inflation normative en matière de droits de l’homme ou de droit humanitaire, en particulier la multiplication de textes de droit dérivé, de soft law, peut affaiblir la défense et la mise en œuvre des règles de droit déjà existantes. Montesquieu disait justement que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Ce « droit mou » qui n’aucune portée juridique obligatoire et qui souvent contient des dispositions peu précises ou des exigences inférieures au « droit dur » finit par être invoqué en lieu et place des règles contenues dans les traités internationaux de droits de l’homme ou du droit humanitaire. J’ai en tête trois exemples de textes, dont la présentation a pu laisser penser à tort qu’ils comblaient des vides juridiques : on a cru que les résolutions 43/131 et 45/100 adoptées par l’Assemblée générale de l’ONU en 1988 et en 1990 créait un droit d’accès humanitaire en situation de conflit (on a aussi parlé de droit d’ingérence humanitaire) alors même que les Conventions de Genève le prévoyait depuis 1949. Dans la même logique, on a laissé entendre que les Principes directeurs sur les personnes déplacées rédigés par le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU, Francis Deng, sortait enfin ces personnes d’un « gap de protection », en oubliant qu’elles bénéficiaient en situation de conflit de la protection du droit international humanitaire et en toutes circonstances des droits indérogeables des droits de l’homme.

Il y a également des situations dans lesquelles l’inflation normative dissimule des renoncements quant au respect et à la défense du droit existant : en Bosnie, le déluge de résolutions du Conseil de sécurité a caché en réalité l’absence de détermination de la « communauté internationale » à faire cesser les violations massives des droits de l’homme et du droit humanitaire.

 

 

Cette 58e session présage-t-elle une nouvelle configuration des relations inter-institutionnelles ?

Quelles sont - selon vous - les marges de manœuvre respectives des Etats et des ONG dans ce type de forum ?

 

La Commission des droits de l’homme reste le royaume des Etats, et leur poids et leur marge de manœuvre sont donc très importants et même disproportionnés, je pense, par rapport à la place qui est réservée aux acteurs indépendants comme les ONG, les rapporteurs spéciaux, les groupes de travail et la Sous-commission. Je crois qu’il y a un lien évident entre cette prépondérance des Etats et le fait qu’aujourd’hui, à mon avis, la Commission des droits de l’homme soit l’organe le moins indépendant du système de protection des droits de l’homme des Nations Unies. On a vu se développer deux types de comportements négatifs de la part des Etats au sein de la Commission. D’une part, les « mauvais élèves » tissent des réseaux d’alliance pour se défendre mutuellement et pour faire échec aux résolutions de condamnation. C’est ce qui s’est passé cette année. D’autre part, les Etats cherchent de plus en plus à faire adopter les résolutions sur les pays par consensus, ce qui revient à négocier les textes avec les Etats responsables des violations des droits de l’homme. En pratique, cela aboutit à affaiblir les résolutions et à atténuer les pressions, alors même que le rôle de la Commission devrait être de clairement pointer du doigt les Etats qui violent les droits de l’homme. Mais la conséquence la plus grave de cette recherche du consensus, c’est que la Commission des droits de l’homme finit par brouiller la qualification des faits, comme lorsqu’elle parle pour la Tchétchénie « d’usage disproportionné de la force » au lieu d’établir sans ambiguïtés que l’on est face à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

En ce qui concerne la marge de manœuvre des ONG au sein de la Commission, j’ai indirectement répondu en insistant sur le déséquilibre entre la place réservé aux Etats et celle attribué aux ONG. Il est intéressant de constater que d’un côté, on assiste à une inexorable montée en puissance des ONG dans les relations internationales. Les ONG participent désormais directement à l'élaboration de normes de droit international de protection des individus, comme en témoigne leur présence lors des négociations du traité d'Ottawa sur les mines en 1997 et du traité de Rome sur la Cour pénale internationale en 1998. A l’inverse de ce mouvement global, les dynamiques en cours au sein de la Commission cherchent au contraire à réduire l’influence des ONG. Les deux dernières sessions de la Commission ont en effet été marquées par les tentatives de containment des ONG mises en place par les Etats. Je me souviens que lors de la 57e session, en 2001, la Haut Commissaire aux droits de l’homme, Mary Robinson, avait du monter au créneau pour défendre les ONG. Cette attitude de la Commission semble quelque peu réactionnaire au moment où chacun s’accorde à penser que la société civile permet sans doute d’humaniser un peu la vie internationale.

 

© 2002 Fabien Dubuet. Tous droits réservés.

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