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QUEL AVENIR POUR LE KOSOVO ?

 

Entretien avec

Skender Hyseni

Premier Conseiller Politique (Principal Political Adviser)

du Président du Kosovo, Dr. Ibrahim Rugova

 

 

Entretien réalisé en anglais le 19 juin 2003 à Pristina, Kosovo, par Sonia Parayre, juriste à la Direction des Affaires juridiques du Conseil de l’Europe (détachée au Bureau extérieur de Pristina en 2002-2003), qui en a assuré la traduction.

Skender Hyseni fut porte-parole d’Ibrahim Rugova de 1995 à 1998. Il devient Conseiller politique du Président de la République du Kosovo en 1998. Il est resté à Pristina lors de la guerre de 1999 et les bombardements de l’OTAN et a rejoint dès décembre 1999 les rangs des institutions conjointes Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) ‑ institutions provisoires locales. Depuis les élections générales du 17 novembre 2001 et la victoire du Président Rugova, Mr Skender Hyseni est devenu son Premier Conseiller politique. 

Note importante : Les opinions exprimées dans cet entretien n'engagent que leurs auteurs.

Précision : Le 13 janvier 2004, nous avons remplacé dans le texte le terme "standards" par le terme "normes", afin de respecter la terminologie utilisée par les Nations Unies.

Impression et citations : seule la version PDF fait foi.

 

NOTE - Cet entretien a été accordé lors du Sommet européen de Thessalonique (19-20 juin 2003), consacré notamment à la question des relations entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux. M. Skender Hyseni a rejoint le 20 juin la délégation du Kosovo, composée du Représentant spécial du Secrétaire général (RSSG), M. Michael Steiner, du Président Ibrahim Rugova, du Premier ministre Bajram Rexhepi et du Coordinateur interministériel sur la question des Retours, Milorad Todorovic. Au cours de ce sommet, l’UE a affirmé son soutien à la politique des « normes avant le statut » et la mise en œuvre intégrale de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité[1]. Aucune réunion parallèle entre les représentants du Kosovo et de la Serbie-Monténégro n’a eu lieu. Depuis cet entretien, un nouveau Représentant spécial du Secrétaire général, M. Harri Holkeri, a été nommé, et une première réunion Belgrade - Pristina sur des questions techniques s’est tenue à Vienne le 14 octobre 2003. Cette première réunion organisée depuis le début de la guerre, visant à l’instauration d’un dialogue entre Belgrade et Pristina, a connu certaines difficultés, notamment en raison de l’absence du premier ministre Bajram Rexhepi et de représentants de certaines minorités du Kosovo. M. Skender Hyseni a également participé à cette réunion.

 

QUESTION ‑ Comment évaluez-vous la situation du Kosovo aujourd’hui, quatre ans après l’intervention de l’OTAN et la mise en place d’une administration intérimaire des Nations Unies (en vertu de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité) ? Quelle a été, à votre avis, la portée de l’action de la communauté internationale au Kosovo ?

 

SKENDER HYSENI ‑ Je considère que jusqu’à présent elle a été ‑ dans toute la mesure du possible ‑ couronnée de succès. Souvenez-vous que, le 13 juin 1999, le Kosovo était totalement détruit et en ruine, et que depuis quatre ans seulement nous reconstruisons la société kosovare. La résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU est une solution provisoire pour une période intérimaire. L’idée de l’ancien RSSG Bernard Kouchner d’un co-gouvernement avec les institutions nationales était, me semble-t-il, parfaitement appropriée. Des institutions nationales ont été élues à l’échelle municipale et centrale et l’année prochaine, des élections générales auront lieu. A ce propos, les observateurs internationaux (notamment l’OSCE et le Conseil de l’Europe) ont reconnu l’année dernière que les élections avaient été bien organisées et étaient conformes aux normes internationales.

 

Nous avons en réalité atteint maintenant le point où les institutions du Kosovo ont besoin de compétences propres pour poursuivre les progrès réalisés jusqu’à maintenant. Nous ne sommes plus dans l’état d’urgence, mais dans la phase de développement économique. En fin de compte, la communauté internationale et les autorités locales ont fait des progrès substantiels que les autorités locales pourraient poursuivre.

 

QUESTION ‑ Le Président Rugova participe actuellement au sommet de Thessalonique où la question de l’élargissement de l’Union européenne sera discutée, ainsi que des accords de partenariat avec la Commission européenne. Pensez-vous que les Etats des Balkans (y compris le Kosovo, une fois son statut final réglé) sont en mesure de rejoindre l’UE ?

 

SKENDER HYSENI ‑ Je me réjouis de la participation de représentants kosovars à la délégation qui s’est rendue au Sommet de Thessalonique, parce qu’à mon sens le Kosovo devrait participer à toutes les initiatives régionales. La seule option véritable est de reconnaître le Kosovo tel qu’il est, c’est-à-dire indépendant, et ensuite de favoriser son intégration en Europe. L’envoyé spécial de l’Union européenne devrait être plus ouvert pour la région, mais malheureusement cela n’a pas été le cas jusqu’à présent.

 

L’intégration à l’Union européenne est une étape nécessaire pour les Balkans en général, et pour le Kosovo en particulier. Comme vous le savez, le Kosovo travaille activement à la réalisation des exigences de l’Union européenne, notamment dans le cadre des « normes avant le statut » fixés par le RSSG M. Michael Steiner pendant son mandat.

 

QUESTION ‑ Ce sommet de Thessalonique est également une opportunité pour entamer des discussions entre Belgrade et Pristina, discussions qui ont été reportées à diverses reprises au moment de l'assassinat du Premier ministre serbe Zoran Djindjic.

 

SKENDER HYSENI ‑ Les Kosovars étaient prêts à dialoguer avant l’assassinat de Djinjic. Or, cet assassinat a repoussé toute chance de dialogue du côté de Belgrade, qui refuse de discuter de questions pratiques. De nombreux points peuvent et doivent être discutés et évalués à l’échelle régionale, par exemple les questions relatives au crime organisé, à l’énergie, au commerce, etc. Les institutions provisoires du Kosovo n’ont d’ailleurs jamais contesté le besoin d’un dialogue avec ses voisins, y compris Belgrade, sur certaines questions pratiques. Des discussions bilatérales pourraient par exemple êtres menées sur les questions relatives aux infrastructures régionales, aux documents d’identités (passeports et autres documents de voyage), à la reconnaissance des plaques minéralogiques, etc.

 

En revanche, une discussion sur le statut final du Kosovo n’est pas envisageable pour le moment, et ne pourrait être résolue dans le cadre d’un dialogue direct avec Belgrade. De toute façon, le Kosovo est de facto indépendant, et nous attendons maintenant que l’on reconnaisse cet état de fait, et qu’on se mette d’accord sur son statut final. Pour se faire, deux options sont envisageables : en organisant une Conférence internationale co-présidée par l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique, au cours de laquelle un accord serait signé permettant au Kosovo de devenir un Etat indépendant ; ou par le biais d’une reconnaissance individuelle de l’indépendance du Kosovo par chaque pays puis par les Nations Unies. Une fois le statut réglé, des discussions seront échangées avec tous nos voisins.

 

QUESTION ‑ Si l’on imagine un Kosovo indépendant, quelle forme aurait cet Etat ? Ne pensez-vous pas que le changement des frontières puisse être un facteur d’instabilité pour la région, comme le soutiennent les dirigeants serbes ? Que pensez-vous de la création d’un deuxième Etat albanais dans la région ?

 

SKENDER HYSENI ‑ Pourquoi ne pas avoir deux Etats albanais ? Il existe bien cinq ou six Etats slaves. Cela n’est pas un problème du tout, et les relations avec l’Albanie seraient exactement les mêmes qu’avec la Serbie et le Monténégro. On pourrait d’ailleurs imaginer l’équivalent d’un espace type « Schengen » avec la Serbie et dans toute la région. En tout état de cause, la formule actuelle de l’Union Serbie-Monténégro n’est pas un modèle pour le Kosovo, et cela ne pourrait pas fonctionner pour des raisons historiques évidentes, connues de tous.

 

Les frontières des anciens Etats de l’ex-Yougoslavie ne devraient pas être retouchées, et d’ailleurs, elles ne l’ont pas été jusqu’à présent. Le Kosovo conserverait donc ses frontières actuelles, et il est inconcevable d’appliquer des critères ethniques (partition du Kosovo) sous peine de créer un précédent dangereux causant de graves problèmes de sécurité dans la région.

 

QUESTION ‑ Revenons à la formule « les normes avant le statut » et aux normes actuellement appliquées au Kosovo ? Comment évaluez vous la situation des droits de l’homme au Kosovo ? Que vous inspire l’appréciation du Médiateur du Kosovo Marek Antoni Nowicki, qui considère le Kosovo comme un « trou noir » (black hole) pour les droits de l’homme ?

 

SKENDER HYSENI ‑ La formule « les normes avant le statut » est très importante, mais nous avons besoin de trouver rapidement une solution au règlement du statut final du Kosovo. En effet, avec la formule « les normes avant le statut », nous sommes confrontés à un dilemme, et aujourd’hui nous devrions plutôt parler « [d]u statut avant les normes ». Les institutions provisoires nationales se sont toujours attelées à la réalisation des objectifs présentés par le RSSG Michael Steiner. Cependant, comme je l’ai dit précédemment, l’indépendance est maintenant nécessaire puisque certaines normes dépendent d’un statut final et définitif du Kosovo, comme le développement économique. De plus, sans compétences propres, on ne saurait reprocher aux institutions nationales de ne pas lutter contre certains fléaux comme le crime organisé. La responsabilité suppose en effet d’avoir au minimum des compétences propres. Par conséquent, l’indépendance est une condition sine qua non pour offrir au Kosovo une démocratie ouverte, notamment aux investissements étrangers et à l’économie de marché.

 

Je ne pense pas que le Kosovo soit un « trou noir » en matière de protection des droits de l’homme, puisque des progrès substantiels ont été réalisés jusqu’à présent. Certes, de nombreuses choses doivent encore être faites en direction de la population serbe, notamment concernant la question de la liberté de mouvement, la sécurité et le retour, mais également dans le cadre de l’intégration des autres communautés ethniques, comme les Turcs, les Roms, etc. Cependant, la responsabilité de l’échec des retours des Serbes ne repose pas exclusivement sur les Kosovars albanais parce que l’on assiste à des différends internes au sein des autorités de Belgrade sur cette question. Je pense aussi que cette question est fondamentalement liée au statut du Kosovo. L’indépendance serait sans aucun doute la clé du renforcement de la protection des droits de l’homme au Kosovo. Elle permettrait par exemple au citoyen kosovar de pouvoir porter une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.

 

QUESTION ‑ Qu’attendez-vous du prochain RSSG, maintenant que le transfert des compétences de la MINUK[2] vers les institutions nationales à été amorcé ?

 

SKENDER HYSENI ‑ De continuer les travaux entrepris par M. Michael Steiner dans le sens du transfert de compétence et de régler le plus rapidement possible la question du statut du Kosovo.

 

 

* * *

 

 


NOTES

[1] Le texte de la résolution 1244 (1999) adoptée par le Conseil de sécurité le 10 juin 1999 est disponible sur le site Internet des Nations Unies à l’adresse <http://www.un.org/french/docs/sc/1999/99s1244.htm>.

[2] Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo. Site Internet : <http://www.unmikonline.org>.

 


 

© 2003 Skender Hyseni et Sonia Parayre. Tous droits réservés.

Mode officiel de citation :

« Quel avenir pour le Kosovo ? ». Entretien avec Skender Hyseni. - Actualité et Droit International, décembre 2003. [http://www.ridi.org/adi].

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