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Après le 
11 septembre, le déluge ? 
  
par 
Charles-Philippe David
 
Professeur de science 
politique à l'Université du Québec à Montréal
   
 
 
  
  
    
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Résumé : 
Notre incompréhension de la crise faisant suite aux attentats du 11 septembre 
repose sur deux illusions. La première est celle du fossé civilisationnel qui 
aurait contribué depuis plusieurs décennies à ériger un monde musulman appauvri 
et laissé pour compte face à un monde occidental riche. La seconde est celle que 
l’Occident a souvent nourrie : amener la paix par le commerce et par la 
démocratie. S'il paraît souhaitable de ramener les facteurs qui ont contribué à 
la crise à leur juste proportion, il semble également très évident que la 
réplique américaine qui se prépare aurait avantage à prendre en compte les 
conséquences énormes qu’elle va provoquer.   
Note : cet article a été rédigé un mois après 
les attentats qui ont frappé les Etats-Unis.
Une première version en a été publiée le 5 octobre 2001 dans le quotidien 
canadien La Presse. Impression
        et citations : Seule la version
        au format PDF fait référence.  | 
     
   
  
 
 
   
Plus de quatre semaines se sont 
déroulées depuis les attentats et les interprétations pullulent. Et pour cause : 
les événements sont uniques, les conséquences douloureuses et les explications 
d’un flou préoccupant. Certaines thèses avancées, si elles plaisent sur le 
moment, n’en restent pas moins contestables ou insuffisantes. Ainsi, avance-t-on 
pêle-mêle, que l’on a changé d’époque, que le terrorisme est devenu fou et 
irrationnel, que c’est la guerre des civilisations et que certainement les 
États-Unis sont en grande partie responsables de ce qui leur arrive ! Tout y 
passe : des fossés culturels et religieux entre l’Islam et l’Occident jusqu’aux 
abus et méfaits de la mondialisation. Il me paraît souhaitable de ramener les 
facteurs qui ont contribué à la crise à leur juste proportion. Il me semble 
également très évident que la réplique américaine qui se prépare aurait avantage 
à prendre en compte les conséquences énormes qu’elle va provoquer. Ces 
conséquences risquent d’être au moins autant, sinon plus encore, significatives 
que les attentats terroristes eux-mêmes. 
  
Notre incompréhension de cette 
crise du « fou contre le fort » repose sur deux illusions. La première est celle 
du fossé civilisationnel qui aurait contribué depuis plusieurs décennies à 
ériger un monde musulman appauvri et laissé pour compte face à un monde 
occidental riche. D’aucuns acceptent, malheureusement, la thèse trop facile de 
Samuel Huntington à propos d’une éventuelle guerre des civilisations. Mais 
plusieurs pensent que les valeurs occidentales, présumément nobles, se sont 
transformées en contre-valeurs : l’égoïsme, le matérialisme, l’arrogance, le 
profit. Les terroristes seraient-ils des dérivés indésirables et contestables de 
notre identité ? Exploiteraient-ils la propension de l’Occident à vouloir 
imposer son mode de vie au reste d’une planète de moins en moins réceptive ? Il 
est à mon avis beaucoup plus juste de parler d’une réaction allergique d’une 
infime minorité au succès que représente le modèle occidental. Si la piste Ben 
Laden est indubitablement confirmée, la preuve sera alors faite que New York 
et Washington ont payé le prix fort et douloureux des réussites, et non des 
échecs, de ce modèle depuis la fin de la guerre froide. Les attentats sont 
partisans, et non identitaires. Ils visent le fief américain car celui-ci 
représente depuis longtemps, pour certains radicaux islamistes, l’ennemi juré. 
Mais en réalité, leur terrorisme est dirigé contre les pays musulmans coupables 
de partager leurs destinées avec l’Amérique et l’Occident. Si fossé 
civilisationnel il y a, ce n’est pas entre le monde musulman et le monde 
occidental mais entre les apôtres de la modernité et les contestataires 
intégristes au sein même de la grande famille musulmane. Ce combat, mené depuis 
une décennie en Algérie, en Tchéchénie, en Bosnie, au Kosovo, au Soudan, au 
Liban, en Égypte, en Afghanistan et au Pakistan, pour ne nommer qu’eux, par les 
partisans de Ben Laden, est désormais parvenu en terre américaine. Nous payons 
ici un lourd tribut : celui d’avoir sous-estimé la rage et la force de ce combat 
qui se déroulait « ailleurs ». Il faut voir alors en Ben Laden, et son réseau 
Al‑Qaïda, un digne successeur des terroristes européens ou latino-américains des 
années soixante et soixante-dix, voulant contester à son tour et de manière 
spectaculaire le modèle de la pensée unique. À cette différence près et elle est 
de taille : la contestation est planétaire et jusqu’au-boutiste. Pas de 
revendications, pas de compromis, pas de début ni de fin, juste une volonté 
quasi nihiliste d’en finir avec tout ce que représente l’Amérique, y compris sa 
seule existence. Bonne nouvelle : oubliez la guerre des civilisations, elle 
n’aura pas lieu. Mauvaise nouvelle : la guerre contre les radicaux islamistes 
prendra beaucoup plus de temps et sera infiniment plus rude que celle à l’époque 
contre des groupuscules tels Action Directe, la Bande à Baader, les Brigades 
Rouges ou le Sentier Lumineux. La guerre idéologique intra-musulmane est appelée 
à s’internationaliser comme celle de la guerre froide, cette fois avec tous les 
États dans le même camp contre ... un acteur non-étatique et planétaire et ce, 
pour la première fois de notre histoire depuis que les États se sont constitués. 
  
La seconde illusion, ou 
devrais-je dire comme Norman Angell il y a soixante-quinze ans, la « grande 
illusion », est celle que l’Occident a souvent nourrie : amener la paix par le 
commerce et par la démocratie. Il est assez vrai de dire que plus les pays 
commercent et sont démocratiques moins ils risquent de se combattre par les 
armes. Pour autant, le commerce et la démocratie n’éliminent pas tous les 
problèmes de sécurité. Surtout quand, bon an mal an, une vingtaine de conflits 
intraétatiques font rage, que des dizaines de milliers d’êtres humains sont 
abandonnées à leur sort, ignorées de la communauté internationale, et que les 
zones de libre-échange demeurent circonscrites à certaines régions, on aurait 
tort de croire que l’insécurité des pauvres et des opprimés ne finira pas par 
miner la sécurité des nantis et des libérés. Ce ne sont pas la démocratie et 
le commerce qui engendrent la sécurité mais bien l’inverse. Tout le débat 
sur la mondialisation de ces dernières années a trop vite évacué la dimension 
sécuritaire. En théorie, il suffirait d’exporter une ZLEA 
ou une UE 
à l’échelle d’un continent, voire de la planète, pour que nous vivions en paix. 
La triste réalité est que les problèmes de sécurité demeurent souvent et 
farouchement exempts de l’influence des apôtres de la démocratie et du commerce. 
L’interdépendance économique en Europe, au début du siècle dernier, n’a pas 
prévenu ni résolu les graves rivalités qui menèrent à la première guerre 
mondiale. Il ne faudrait pas croire que la mondialisation économique et 
politique contemporaine constitue le remède aux maux de sécurité : au contraire 
elle contribue probablement à la radicalisation de ses opposants. D’autant 
qu’ils exploitent habilement les problèmes de sécurité auxquels la 
mondialisation n’apporte aucune solution, lorsqu’elle ne les ignore pas purement 
et simplement. Pour preuve : la terrible dégradation – pourtant parfaitement 
évitable - des rapports entre Israéliens et Palestiniens alimente sans nul 
doute, pour beaucoup de jeunes Arabes, le sentiment d’un ras-le-bol qui donne du 
poids (et sans doute une forme de légitimité, certes douteuse) aux desseins 
maléfiques de ceux qui ont recours au terrorisme. Le guerrier mâle qui attaque 
une ville américaine (à noter qu’aucune femme n’est impliquée à ce jour dans ce 
complot sordide) n’a d’yeux que pour la mutation du ras-le-bol en guerre à 
outrance, et n’a absolument rien à ouïr d’une possible bienfaisance de la 
mondialisation dont lui et les siens sont exclus. Pour combattre ce terrorisme, 
il faudra bien prendre conscience qu’il se nourrit de l’insécurité chronique qui 
sévit au Proche-Orient, qu’il alimente d’ailleurs encore plus par les gestes 
fous du 11 septembre. Ben Laden peut plaire car la cible qu’il vise, les 
États-Unis, sont jugés pour le moins suspects dans leurs agissements et leurs 
politiques : envers Israël, envers les monarchies conservatrices dont ils 
permettent le maintien en place (intérêt économique du pétrole oblige), contre 
la population irakienne qu’ils conservent dans un état comateux par un embargo 
qui renforce paradoxalement le régime de Saddam Hussein. Tant que la sécurité 
n’est pas instaurée au Moyen-Orient et que les Américains y maintiennent leur 
présence pour supporter artificiellement une sécurité tout ce qu’il y a de plus 
précaire, le combat partisan du « fou contre le fort » trouvera toujours des 
sympathisants pour l’endosser, même si les raisons diffèrent et que tous 
d’évidence ne sont pas rompus aux méthodes violentes du terrorisme. Ni la 
promesse de la démocratie, encore moins celle du dollar, n’ont apporté à ce jour 
de solution durable aux problèmes de sécurité, au Moyen-Orient ou ailleurs. 
Cette « grande illusion » est tombée avec l’effondrement du symbole que 
constituent les tours du World Trade Center, comme en 1914 et pour d’autres 
raisons au travers du geste d’un Serbe anarchique. La permanence et la 
récurrence des problèmes de sécurité s’imposent au prix du mépris et de l’oubli 
de l’Histoire. Il est grand temps que les apôtres de la démocratie et du 
commerce réalisent que leur survie n’est possible que lorsqu’existe en premier 
lieu la sécurité, ici certes mais surtout ailleurs puisque nous sommes en effet 
mondialisés. 
  
Frappant furent les attentats 
terroristes, encore plus frappant est de constater qu’ils ont été conçus et 
exécutés au cœur de l’Occident et en profitant pleinement des extraordinaires 
opportunités qu’offre désormais cette interdépendance planétaire : Déplacements 
faciles d’un pays à l’autre, utilisation de moyens de communication multiples, 
entraînement en Allemagne et aux États-Unis, blanchiment d’argent et comptes 
bancaires dissimulés aux quatre coins du monde, bref « l’alliance de la 
technologie la plus moderne et du fanatisme le plus archaïque ». Si ce n’était 
du sanctuaire qu’a offert l’Afghanistan à Al-Qaïda et Ben Laden, la seule 
évidence de la nouvelle menace terroriste serait qu’elle provient d’une immense 
quantité d’États, peu informés du reste de la planification transnationale de 
ces redoutables attentats... En réalité, ce nouvel acteur terroriste est 
entièrement déterritorialisé et à un degré jusqu’ici jamais atteint. Certes 
les Brigades Rouges furent entraînées au Moyen-Orient mais leurs bases 
d’opérations et de repli n’ont jamais paru autant soustraites à toute autorité 
étatique comme l’est Al-Qaïda en Afghanistan. Au point où il appert que c’est 
Ben Laden qui assure la protection du régime des Talibans et non l’inverse. Qui 
est réellement l’invité de qui? Rien ne semble lier les Afghans opprimés à la 
cause du terroriste « fou ». C’est davantage la puissance du réseau de Ben Laden 
- que sa seule présence à Kandahar (dans le sud de l’Afghanistan) - qui fait 
peur et pose problème à l’ensemble des pays visés par les actions de Al-Qaïda.
« Que faire », dirait Lénine ? On serait tenté de dire  : « Gouvernements de 
tous les pays, unissez-vous ! ». Et on ne semble pas si loin de la vérité, 
car l’une des conséquences immédiates de cette crise a été de rapprocher les 
États. Jamais une menace, notamment la menace communiste, n’est parvenue à 
effrayer et serrer les rangs d’une majorité de gouvernements, parfois à leurs 
périls, pour faire face et contrer si possible cette offensive terroriste. Non 
seulement l’OTAN, ni même seulement les États du monde arabe alignés sur 
Washington, mais aussi l’Iran et la Syrie, l’Inde et le Pakistan, la Russie et 
la Chine, les républiques d’Asie centrale comme du sud-est asiatique resserrent 
les rangs autour des États-Unis. De fait, une coalition internationale se met 
graduellement sur pied, largement très (trop) influencée par l’hégêmon 
américain, pour défendre et réaffirmer les prérogatives de l’État en matière de 
sécurité. L’insécurité provoquée par un acteur non-étatique contribuerait-elle à 
faire en sorte que les États doivent se battre pour survivre dans cette nouvelle 
ère amorcée depuis le 11 septembre ? Rien ne laisse croire que cette nouvelle 
coalition d’États puisse perdre face à ce nouvel ennemi, encore que les 
conséquences demeurent imprévisibles : entre autres, l’implosion d’États qui en 
ressortiront affaiblis (tel le Pakistan) et la redéfinition de la carte 
géopolitique du monde (notamment en Asie centrale). De cette prochaine guerre 
annoncée, il sortira des gagnants et des perdants mais au-delà, il y aura 
surtout des États et leurs populations qui seront encore plus victimes de ses 
effets. Assurément l’Afghanistan mais aussi, peut-on craindre, des pays comme 
l’Irak. 
  
Cette guerre 
multi-dimensionnelle contre Al-Qaïda a de quoi faire peur, non tant par ses 
motifs louables que par ses conséquences inattendues. Certes personne ne veut 
capituler devant le terrorisme, et tout le monde s’attend et s’entend sur le 
fait que les mesures assez classiques de lutte anti-terroriste devront reprendre 
du service comme il y a vingt ans. Seulement la vieille approche est 
insuffisante face à un nouvel ennemi « occidentalisé » dans ses méthodes et 
mondialisé dans sa portée. Le scénario de contre-attaque prévu par les 
Américains, témoigne des difficultés de la contre-guerre terroriste et des 
dangers inhérents à l’emploi quasi unilatéral de la force, et encore une fois 
hors-cadre onusien. Le monstre de Frankenstein, que représente Ben Laden, ne 
doit pas faire oublier que c’est le savant américain qui l’a créé et qu’en 
prenant la responsabilité de le détruire il n’exonère pas pour autant, dans le 
monde arabe comme pour l’ensemble de la communauté internationale, les 
accusations de cynisme qui ne manqueront pas de lui être adressées. Si 
Washington veut gagner sa guerre contre le terrorisme, il faudra également qu’il 
gagne la paix, pour les populations comme pour les États qui ne manqueront pas 
d’être emportés dans la tourmente de ses actions, surtout militaires. Examinons 
un à un les enjeux de la riposte américaine. 
  
  
* * * 
  
  
L’opération militaire qui se 
dessine en Afghanistan sera sans précédent, et il vaut mieux qu’elle ne répète 
pas les erreurs du passé. Les États-Unis disposent de plus d’un million de 
soldats, mais seulement quelques dizaines de milliers sont disponibles et 
entraînées aux opérations spéciales. Lorsque les forces d’intervention 
aéroportées furent utilisées en avril 1980, pour tenter de libérer les otages 
américains séquestrés en Iran, elles échouèrent lamentablement dans le désert. 
Elles ne parurent guère plus compétentes en 1989 pour capturer Manuel Noriega au 
Panama : près d’une trentaine de jours pour y trouver et déloger le dictateur. 
Peut-on craindre la répétition d’un tel scénario avec Ben Laden ? Tout dépendra 
de la compétence, de l’information et de l’efficacité des troupes d’élite Delta, 
Navy SEALs et des Bérets verts, pour surprendre et détruire les camps 
terroristes de Al‑Qaïda dans l’Est de l’Afghanistan. Pour la première fois 
également, cette riposte américaine et britannique (avec le concours des SAS 
aguerris par leur combat contre l’IRA), se fera probablement au prix de pertes 
humaines parmi les soldats. La guerre zéro-mort est terminée car le Pentagone 
ne pourra plus faire l’économie du déploiement de troupes au sol. Les modèles de 
la guerre du Golfe en 1991 et contre la Serbie en 1999 sont en ce sens peu 
pertinents. L’illusion de la guerre parfaite et technologique, se basant sur 
l’emploi de la seule arme aérienne pour faire plier un adversaire ne peut 
s’appliquer dans le cas de l’Afghanistan. D’autant qu’il n’y a rien à bombarder 
et que tout bombardement aurait tôt fait de devenir parfaitement inefficace et 
hautement immoral. La capitale, Kaboul, est déjà aux deux-tiers détruite, le 
pays est exsangue et les conditions de vie des Afghans auront vite fait de se 
détériorer plus encore à la suite des bombardements. Là se situe un autre défi 
de taille : le drame humanitaire qui a déjà commencé et qui ne manquera pas de 
s’accentuer, durant et après une attaque américaine. Si la riposte contre Ben 
Laden peut peut-être réussir, il est définitivement moins sûr que l’on ait 
mesuré, à la Maison-Blanche, toutes les conséquences humanitaires et politiques 
d’une attaque américaine. Il est à prévoir que l’Afghanistan s’ajoute ainsi à 
la liste des États et des territoires qui se retrouvent sous quasi protectorat 
international, comme le Timor oriental, la Bosnie et le Kosovo – des exemples 
plus ou moins réussis de « mises en tutelle ». Multipliez par trois le drame 
humanitaire du Kosovo il y a deux ans et vous aurez une idée approximative de la 
portée de l’ingérence obligée que ne manquera pas de provoquer l’action 
militaire américaine. Pour tout dire, la dernière chose que celle-ci doit faire 
est de répéter les erreurs de la Grande-Bretagne au XIXe siècle et de l’URSS au 
XXe siècle : l’Afghanistan ne peut être conquis ni soumis. Même Genghis Khan et 
ses Mongols, rappelle-t-on, ne réussirent pas au XIIIe siècle à mettre fin à 
l’islamisation de l’irréductible Afghanistan... À moins que George W. Bush ait 
percé le secret d’Alexandre le Grand, et sauf à croire notamment que l’appui à 
l’Alliance du Nord est une manière de pacifier l’Afghanistan, il y a fort à 
parier que l’Histoire se répète. L’Alliance du Nord n’est pas la panacée et ne 
reçoit nullement l’appui de la majorité des Pachtounes qui récusent autant cette 
Alliance qu’ils détestent les Talibans. Le retour du vieux roi ne suffira pas et 
de toute évidence les États-Unis et leur coalition fortuite d’États de la région 
auront du pain sur la planche. Car si attaquer Ben Laden et Al-Qaïda ne semble 
déjà pas une mince affaire, occuper sinon s’occuper de l’Afghanistan représente 
un défi encore plus redoutable et risqué. 
  
Dans toute cette crise, que 
reste-t-il de l’ONU et du droit international que l’on semble avoir tristement 
et maladroitement oubliés ? On se met à rêver et à penser aux Woodrow Wilson, 
Raoul Dandurand, Lester Pearson ou Jean Monnet... Pourquoi ne pas présenter la 
preuve d’inculpation de Ben Laden au Conseil de sécurité de l’ONU afin de 
légitimer aux yeux du monde entier et dans la cour de l’opinion publique 
internationale l’obligation d’extradition et de punition à l’encontre du chef de 
Al-Qaïda ? Pourquoi ne pas obtenir et voter des résolutions contraignantes et 
hautement médiatisées à l’ONU pour agir face à l’Afghanistan comme la diplomatie 
l’a fait il y a dix ans avec l’Irak ? Pourquoi ne pas profiter de l’existence 
d’une Cour criminelle internationale pour lui donner (lorsque les États-Unis, 
entre autres, auront ratifié sa création) son premier mandat d’arrestation et de 
traduction en justice de Ben Laden et ce, devant des juges impartiaux 
politiquement et religieusement ? Rien ne ferait plus mal et ne 
marginaliserait autant Al-Qaïda qu’une condamnation des terroristes à la 
Ben Laden par un tribunal international et incluant entre autres un ou des juges 
musulmans. Une action unilatérale américaine contre Ben Laden et en 
Afghanistan comporte justement tous les risques d’une conflagration qui 
donnerait raison aux partisans de la guerre des civilisations. Il serait 
terrible d’aboutir à la guerre sainte que tous les pays, et a fortiori les 
États-Unis, veulent éviter. Ce résultat, présume-t-on, constitue le but 
recherché par Al-Qaïda qui ne manquera pas d’offrir une multitude de nouveaux 
martyrs pour les enfants de sa cause et ce, pour se venger des Américains durant 
les décennies à venir. 
  
L’anti-américanisme qui se 
manifeste, à Montréal et ailleurs, a beau jeu de dénoncer le réflexe 
unilatéraliste de W. Bush d’autant que celui-ci fait apparemment fi des leçons 
de son père (apprises en 1990) pour ne retenir que l’attitude à la Rambo d’un 
Ronald Reagan (dans les années 1980). Pourtant, les États-Unis auraient tout à 
gagner d’une manipulation au mérite des mécanismes onusiens, qui sans nul doute 
justifieraient à la cause américaine. Une attitude et des décisions plus 
multilatéralistes auraient vite fait d’éteindre la pyromanie anti-américaine qui 
sévit. Celle-ci ne trouverait que peu d’échos dans les cercles intellectuels 
et universitaires car elle perdrait sa principale cible et raison d’être, soit 
la dénonciation de l’arrogance américaine. Certes les Américains ont des 
problèmes avec le monde, en raison de leur ignorance et parfois de leur morgue 
qui ne fait aucune place aux nuances, en raison également de cette constante 
volonté de dicter la ligne de conduite au reste de la planète. Faut-il pour 
autant tout vouloir jeter par la fenêtre : le président et ses conseillers, en 
passant par les élus, les médias et pour en finir les chefs d’entreprise voire 
tout le système politique et le modèle américain, accusés d’être responsables 
d’un manichéisme qui dessert entièrement la cause de la paix et du progrès ? Il 
y a là un pas facile, simpliste et abusif qu’il me paraît délicat de franchir. 
On devrait plutôt se demander ce que nous faisons ici au Canada pour infléchir 
la position américaine dans une direction davantage multilatéraliste. Or à peu 
près rien ne transpire sur ce sujet, tel un aveu d’omission voire de démission 
des intellectuels et des décideurs devant des idées et des actions qui veulent
rallier plutôt que diviser l’opinion publique à la cause de la 
répression immédiate puis de la prévention à terme du terrorisme transnational. 
  
Rien n’est plus pareil parce 
que la modernité s’accompagne d’une immense vulnérabilité. L’Amérique du Nord 
s’est imaginée rester à l’écart des effets pervers et violents de cette 
modernité. Nous venons de réaliser que l’exportation des valeurs et du modèle 
occidental s’accompagne de responsabilités aussi grandes envers le reste du 
monde qu’envers nous-mêmes : entre autres, celle de s’intéresser et de se 
préoccuper davantage des enjeux de sécurité, sans lesquels la prospérité ne veut 
rien dire. Imaginons un seul instant durant les prochains mois d’autres actions 
spectaculaires comme celles du 11 septembre… On prend alors toute la mesure des 
effets destructeurs pour l’économie mondiale des dilemmes de sécurité qui 
foisonnent ici et là dans le monde. Il est grand temps de se préoccuper de ces 
dilemmes, avant d’accorder la seule priorité à l’élargissement des marchés et de 
la démocratie. 
 
 
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 © 2001 Charles-Philippe 
David. Tous droits réservés.
 
DAVID C.-P. - "Après le 11 
septembre, le déluge ?". - Actualité et Droit International, novembre 
2001 (http://www.ridi.org/adi).    
  
NOTES
L’auteur est Titulaire de la Chaire 
Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM. Il est 
l’auteur de « La guerre et la paix. Approches contemporaines de la sécurité et 
de la stratégie », publié par les Presses de Sciences Po à Paris. Pour plus 
d’information sur les questions stratégiques consulter le site :
www.unites.uqam.ca/dandurand.
   
  
   
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