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TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR 
LE RWANDA 
  
L’essentiel 
de la jurisprudence du TPIR depuis sa création jusqu’à septembre 2002 
 
par 
Roland Adjovi 
Doctorant à l’Université Panthéon – Assas (Paris II) 
et 
Florent Mazeron 
ATER à l’Université d’Auvergne (Clermont I) 
  
 
 
  
  
    
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        Résumé : 
        Créé par la résolution 955 (1994) du Conseil de sécurité des Nations 
        Unies, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) est 
        compétent pour connaître des crimes de génocide, crimes contre 
        l’humanité et crimes de guerre perpétrés en 1994 au Rwanda ou dans des 
        pays voisins. Malgré des débuts difficiles et un bilan encore mince, sa 
        jurisprudence apporte indéniablement une contribution importante au 
        droit international humanitaire dont nous souhaitons relever ici les 
        traits essentiels. 
        
          
        
        
        Abstract: 
        Created by Security Council’s resolution 955 (1994), the International 
        Criminal Tribunal for Rwanda (ICTR) is competent with genocide, crimes 
        against humanity and war crimes committed in Rwanda and bordering 
        countries in 1994. Despite numerous difficulties in its early stages, 
        this tribunal is building progressively an important contribution to 
        international humanitarian law. The aim of this article is to pick up 
        the most significant elements of this contribution. 
         
        Impression
        et citations : Seule la version
        au format PDF fait référence.
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INTRODUCTION 
  
  
Sur la base de différents 
rapports faisant état de la commission d’actes de génocide ainsi que d’autres 
violations systématiques du droit international humanitaire au Rwanda en 1994 
et à la demande expresse du nouveau gouvernement de ce pays, 
le Conseil de sécurité des Nations Unies créa le Tribunal pénal international 
pour le Rwanda (TPIR) par sa résolution 955 (1994) adoptée le 8 novembre 1994. 
Après avoir appelé de ses vœux la création de cette institution, le Rwanda vota 
finalement contre la résolution 955 pour diverses raisons dont les deux 
principales sont l’absence de priorité donnée dans le Statut au crime de 
génocide et l’absence de la peine capitale parmi les sanctions. 
La prise en compte des crimes de guerre dans le mandat du TPIR et l’extension de 
sa compétence ratione temporis au delà de la prise de pouvoir du Front 
patriotique rwandais (FPR) en juillet 1994 peuvent également expliquer la 
position des autorités rwandaises. Les premières mises en accusation de membres 
de l’armée patriotique rwandaise (APR) seraient d’ailleurs imminentes 
et les relations entre Arusha et Kigali s’en sont récemment trouvées tendues, au 
point que le gouvernement rwandais aurait empêché certains de ses ressortissants 
d’aller témoigner devant le TPIR. 
Elles risquent de se détériorer plus encore avec les résultats, attendus pour 
l’automne, de l’enquête menée par la justice française sur l’attentat du 6 avril 
1994 qui coûta la vie au Président rwandais Habyarimana et qui marqua le début 
du génocide. Le Procureur du TPIR devra alors décider s’il se saisit ou non du 
dossier. Or, si l’enquête française confirme le rapport Hourigan 
qui avait mis en cause l’actuel Président rwandais Paul Kagamé, le Tribunal 
risque d’être le seul à pouvoir exercer des poursuites en raison de l'immunité 
de juridiction pénale que le droit international reconnaît aux chefs d’État en 
exercice devant les tribunaux étrangers. 
La fin de l’année 2002 s’annonce donc particulièrement cruciale pour le TPIR. 
Selon l’article premier de son 
Statut, la compétence générale du TPIR concerne « les personnes présumées 
responsables de violations graves du droit international humanitaire commises 
sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de 
telles violations commises sur le territoire d’Etats voisins entre le 1er 
janvier et le 31 décembre 1994 ». Les articles 2 à 4 du Statut détaillent 
ensuite la compétence ratione materiae du Tribunal, qui comprend le 
génocide, les crimes contre l’humanité ainsi que les violations graves de 
l’article 3 commun aux Conventions de Genève et de leur Protocole additionnel II. 
Depuis sa création, le TPIR a 
rendu huit jugements portant condamnation, dont sept ont fait l’objet d’un 
appel. La chambre d’appel a pour l’instant confirmé six condamnations, les 
appels du Procureur et de la défense dans l’affaire Rutaganda étant en 
délibéré. 
Un acquittement a également été prononcé par la Chambre de première instance et 
confirmé par la chambre d’appel, celui d’Ignace Bagilishema, Bourgmestre de 
Mabanza. 
Ce dernier a été relaxé de tous les chefs d’accusation pesant sur lui : 
génocide, complicité de génocide, entente en vue de commettre le génocide, 
crimes contre l’humanité et violations graves de l’article 3 commun aux 
Conventions de Genève, et du Protocole II.  
Ces différents jugements et arrêts feront l’objet de 
la présente analyse, qui ne porte que sur le fond du droit, et non sur les 
éléments de procédure. Elle exclut également les problèmes concernant la 
fixation de la peine, de même que ceux relatifs à l’article 6 du Statut qui 
détermine la nature et l’étendue de la responsabilité pénale individuelle. Pour 
chaque catégorie de crimes visée au Statut, nous relèverons les principaux 
apports des décisions mentionnées ci-dessus, en veillant à les replacer dans la 
perspective de la jurisprudence antérieure et de la doctrine pertinente, afin 
d’en identifier les problèmes juridiques majeurs. Enfin, nous examinerons une 
problématique commune aux différents crimes, le concours d’infractions. 
  
Nous exclurons en revanche de 
notre étude trois affaires qu’il convient néanmoins de présenter brièvement. 
Deux d’entre elles sont terminées sans avoir été jugées au fond, à la suite du 
retrait des actes d’accusation. La première implique Bernard Ntuyahaga, ancien 
membre des Forces armées rwandaises (FAR), accusé des meurtres d’Agathe 
Uwilingiyimana, Premier Ministre par intérim du Rwanda et de dix casques bleus 
belges de la Mission des Nations Unies au Rwanda (MINUAR). Après avoir rejeté 
une demande d’extradition de la Belgique, 
la Chambre de première instance I a pris la décision d’accorder au Procureur le 
retrait de son acte d’accusation le 18 mars 1999 
et de remettre en liberté le major Ntuyahaga. Faisant néanmoins l’objet de deux 
autres procédures d’extradition déposées par la Belgique et le Rwanda auprès de 
la Tanzanie, il a été immédiatement arrêté par les autorités de ce pays où il 
est encore détenu, la procédure d’extradition étant en cours. La seconde 
concerne Léonidas Rusatira, ancien commandant de l'Ecole supérieure militaire de 
Kigali au sein des FAR. Le 14 août 2002, 
le Président du Tribunal, la juge Pillay, a rendu une décision qui autorise le 
Procureur à retirer l'acte d'accusation contre Léonidas Rusatira pour défaut de 
preuves. L’arrestation de Léonidas Rusatira avait en effet provoqué l'émoi dans 
les milieux des défenseurs des droits de l'homme ; il est connu pour avoir lancé 
dès le 12 avril 1994 des appels à l'arrêt des massacres et pour avoir sauvé de 
nombreux Tutsis.
 
Enfin, il nous faut signaler 
l'affaire Barayagwiza qui constitue un pathétique feuilleton judiciaire. 
Arrêté et mis en détention au Cameroun à la demande du Procureur du TPIR en 
1996, Jean-Bosco Barayagwiza attendra huit mois pour être transféré à Arusha et 
encore cinq mois avant sa première comparution. Le 3 novembre 1999, 
se fondant sur la doctrine de l’abus de procédure judiciaire, la Chambre d’appel 
annule les charges retenues contre Barayagwiza, ordonne sa libération immédiate 
et interdit au Procureur d’exercer de nouvelles poursuites pour les mêmes faits. 
La chambre d’appel envisage d’abord de le remettre au Cameroun qui, cependant, 
ne souhaite pas l’accueillir. Quant à la solution, plus logique, de la 
libération simple, elle est rejetée car elle équivaudrait à une livraison de 
facto au Rwanda et exposerait Barayagwiza à la peine de mort. Seul le dépôt 
par le Procureur d’une requête en révision de l’arrêt de 1999 permettra de 
sortir de l’impasse, en offrant notamment une justification au maintien en 
détention. Finalement, au prix d’une interprétation très souple des conditions 
de révision, la Chambre d’appel décidera, dans un arrêt en date du 31 mars 2000, 
de lever l’interdiction des poursuites. Après avoir failli s’arrêter 
définitivement, cette affaire reprend actuellement son cours devant le TPIR, 
désormais jointe à d’autres actes d’accusation dans le cadre du procès des 
médias.  
  
I. – CRIME DE GENOCIDE 
  
  
Le crime de génocide est une 
construction du XXe siècle, même si l’acte nous semble avoir toujours existé. 
S’agissant du Rwanda en particulier, c’est la qualification première à laquelle 
les différents rapports sur les événements d’avril 1994 font référence. 
L’originalité du TPIR sera, d’une part, de déterminer le fondement juridique de 
ce crime dans le contexte rwandais, et, d’autre part, d’en offrir la première 
interprétation dans le cadre d’un procès pénal international.  
  
  
A. - Le génocide : fondement 
conventionnel et coutumier 
  
  
Les sources classiques du droit 
international sont, conformément à l’article 38 du Statut de la Cour 
internationale de Justice (CIJ), les conventions, la coutume, les principes 
généraux de droit et, auxiliairement, la jurisprudence et la doctrine. C’est 
donc à juste titre que les juges d’Arusha ont recherché dans ces différents 
éléments, le fondement juridique du crime de génocide, étape nécessaire pour 
respecter le principe de légalité inhérent à tout régime pénal. 
 
La source la moins discutable 
de cette incrimination est la Convention pour la prévention et la répression du 
crime de génocide du 9 décembre 1948, entrée en vigueur en 1951. C’est la 
première consécration du génocide comme crime spécifique dans un texte juridique 
à valeur obligatoire. 
Or, le Rwanda a adhéré à cette convention le 16 avril 1975, 
ce qui suffit à appliquer les dispositions conventionnelles à la situation 
survenue dans le pays en 1994, sans violer le principe de légalité. Néanmoins, 
la jurisprudence du TPIR a approfondi la question de la source, en affirmant la 
valeur coutumière du caractère criminel du génocide.  
Dès la première décision au fond 
(Akayesu, Jugement, 1998), les juges ont affirmé que « [l]a Convention 
sur le génocide est incontestablement considérée comme faisant partie du droit 
international coutumier comme en témoigne l’avis consultatif rendu en 1951 par 
la Cour internationale de Justice sur les réserves 
et comme l’a d’ailleurs rappelé le Secrétaire général des Nations Unies dans son 
rapport sur la création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie » 
(ibid, § 495).
 
La mention dudit rapport nous 
apparaît superflue dans le raisonnement. Il n’a aucune valeur juridique en soi 
et, de plus, ne fonde la valeur coutumière du crime de génocide que sur le seul 
avis consultatif de 1951. C’est donc exclusivement dans cette référence qu’il 
faut rechercher la consécration coutumière des dispositions conventionnelles. 
Or, dans cet avis, la CIJ s’est contentée d’affirmer que « les principes qui 
sont à sa base [de cette Convention] sont reconnus par les nations civilisées 
comme engageant même en dehors de tout lien conventionnel ». 
Cette formule laconique, qui fonde depuis le caractère coutumier du crime de 
génocide, relève davantage de l’incantation morale que de la démonstration 
juridique. A notre sens, celle-ci aurait exigé que soit rapportée la preuve 
d’une pratique concordante des États et d’une opinio juris. La CIJ ne l’a 
pas fait, et le TPIR n’a pas pallié cette lacune. Pourtant, cinquante ans après 
l’avis sur les réserves, la démonstration aurait pu s’appuyer sur les nombreuses 
résolutions des Nations Unies qui, à la suite de celle du 9 décembre 1948 (Rés. 
260 A (III)), ont réaffirmé le caractère criminel du génocide, ainsi que sur un 
examen détaillé de la législation et de la jurisprudence des États. 
Qu’à cela ne tienne, la doctrine 
- à la fois « des publicistes les plus qualifiés » 
et des États - semble unanime sur ce point, et nul ne conteste l’universalité du 
caractère criminel du génocide. La contribution la plus riche de la 
jurisprudence du TPIR se situe donc, à ce jour, dans la détermination des 
éléments constitutifs de ce crime. 
  
  
B. - Le génocide à travers 
ses éléments constitutifs 
  
  
Comme tout crime, le génocide 
dans ses différentes formes 
comprend deux éléments, l’un matériel et l’autre psychologique. Les précisions 
apportées par la jurisprudence du TPIR sont nombreuses, mais nous ne retiendrons 
que les questions relatives au dol spécial et au groupe, soit parce que les 
autres éléments ont déjà fait l’objet de critiques auxquelles nous adhérons, 
soit parce qu’ils n’appellent pas de critique à notre connaissance. 
  
1. - Dol spécial 
  
Le dol spécial constitue un 
élément très spécifique du génocide. Les juges le définissent comme l’intention 
précise, chez le criminel, de provoquer le résultat incriminé, à savoir la 
destruction, en tout ou en partie, d’un groupe national, ethnique, racial ou 
religieux, comme tel (Akayesu, Jugement, 1998, § 498). 
La difficulté majeure est de savoir à quel niveau il faut rechercher cette 
intention spécifique. 
En fonction de l’autorité exercée par la personne inculpée, la preuve du dol 
sera plus ou moins difficile, les juges l’ayant recherchée tantôt au niveau de 
l’accusé, tantôt dans la politique génocidaire (ibid., § 523). 
 
La politique génocidaire 
constitue le « contexte général de perpétration » du crime ; elle apparaît dans 
les prises de position des autorités de fait ou de droit, quel que soit leur 
rang. Participent aussi de la preuve de cette politique génocidaire, « l’échelle 
des atrocités commises, leur caractère général, dans une région ou un pays, ou 
encore le fait de délibérément et systématiquement choisir les victimes en 
raison de leur appartenance à un groupe particulier, tout en excluant les 
membres des autres groupes » (ibid., § 523). La difficulté, au niveau 
pénal, est de savoir si le juge, une fois que l’existence d’une telle politique 
a été prouvée dans une affaire, peut faire l’économie de sa démonstration dans 
les autres affaires et se contenter de déterminer dans quelle mesure l’acte 
spécifique d’une personne participe de cette politique. Dans la pratique 
actuelle des tribunaux pénaux internationaux (TPI), les juges ont choisi d’en 
faire la démonstration dans chaque affaire, mais, en réalité, ils reprennent la 
même analyse. Cette difficulté s’accentue lorsque des instances internationales 
non juridictionnelles ont établi l’existence d’une telle politique, comme ce fut 
le cas avec le rapport de Degni-Ségui, où il est dit explicitement que les 
événements survenus en avril 1994 revêtent la nature d’« un génocide résultant 
des massacres de Tutsi ». 
Il faut craindre dès lors que cette qualification extrajudiciaire par le système 
ayant mis en place la juridiction pénale internationale n’influence les 
décisions judiciaires, risque qui n’est cependant pas spécifique aux tribunaux 
pénaux internationaux.  
Quant à l’intention d’une 
personne en particulier de « détruire, en tout ou en partie un groupe national, 
ethnique, racial ou religieux », la preuve en paraît bien plus difficile si la 
personne n’est pas dans une position d’autorité. Les juges ont alors recherché 
dans les « actes et propos » de l’accusé, l’existence d’une volonté bien 
déterminée en ce sens, même si le groupe visé n’a pas été totalement décimé (ibid., 
§ 497). 
La politique génocidaire reste un critère essentiellement pour les accusés qui 
ont une fonction gouvernementale : elle sera déterminée par les actes et propos 
de l’accusé mais aussi par les actes des organes de l’État. 
  
2. - Groupe 
  
La Convention de 1948 établit 
quatre types de groupe dont les critères distinctifs sont la nation, la race, 
l’ethnie et la religion. Ces critères sont tous, à des degrés différents, flous, 
du moins si l’on tente d’en donner une définition objective. 
En ce qui concerne le groupe 
national, la Chambre de première instance I du TPIR tente de le définir 
objectivement, en se fondant sur la jurisprudence Nottebohm de la Cour 
internationale de Justice. 
Elle l’envisage comme « un ensemble de personnes considérées comme partageant un 
lien juridique basé sur une citoyenneté commune, jointe à une réciprocité de 
droits et de devoirs » (ibid., § 512). Elle écarte ainsi une définition 
plus subjective de la Nation, fondée sur le sentiment d’appartenance, pour ne 
retenir que le lien objectif de nationalité. L’inconvénient d’une telle 
définition est son caractère restrictif. Dans le cas rwandais, elle exclut la 
qualification des groupes Tutsi ou Hutu de « national ». Elle entraîne aussi, 
dans un autre contexte, une interrogation sur la pertinence du caractère 
national du groupe Bosniaque musulman, puisque Bosniaques, Croates et Serbes 
faisaient partie d’une même entité étatique antérieure, la Yougoslavie. A ce 
titre la seule qualification par la Constitution yougoslave de 1963, du groupe 
Bosniaque musulman comme une Nation, suffit-elle à fonder l’analyse du juge ? 
Si les juges ont retenu une 
définition exclusivement étatique et objective du critère national, c’est 
peut-être aussi pour ne pas empiéter sur le critère ethnique, qu’ils ont 
également tenté de définir objectivement dans un premier temps, en affirmant que 
le « groupe ethnique qualifie généralement un groupe dont les membres partagent 
une langue ou une culture commune » (ibid., § 513). Dans la perspective 
occidentale, Hutus et Tutsis sont généralement distingués sur la base de ce 
critère. Mais n’y a-t-il pas là une certaine méconnaissance de l’environnement 
social rwandais, où les groupes ethniques qu’on tend à y distinguer, ont une 
langue et, pour l’essentiel, une culture communes ? 
Le critère racial n’est pas plus 
évident à définir objectivement. Même s’il est certaines différences physiques 
indéniables entre les humains – Blanc, Noir, Pygmées, Blond, Cheveux crépus, 
etc. – 
ces différences ne font pas pour autant des êtres humains ayant les mêmes 
caractéristiques une race à part. Les travaux d’experts réunis sous l’égide de 
l’UNESCO 
ont conduit à la Déclaration sur la race et les préjugés raciaux 
qui, dès son article premier (§ 1), affirme que « [t]ous les êtres humains 
appartiennent à la même espèce et proviennent de la même souche ». Pourtant, de 
nombreux textes de droit international positif persistent à utiliser le critère 
racial pour désigner les persécutions ou les discriminations prohibées. 
Enfin, s’agissant du critère 
religieux, 
la difficulté réside, s’agissant du contexte africain en particulier, dans 
l’hétérogénéité des croyances, avec toutes les combinaisons possibles. Ainsi, 
une plaisanterie courante - mais révélatrice d’une réalité sociale certaine - 
veut qu’il y ait, au Bénin, 45% de chrétiens, 25% de musulmans et 100% 
d’animistes ! Cette réalité est commune aux États de l’Afrique subsaharienne. En 
conséquence, le groupe chrétien sera facile à déterminer, mais celui des 
adorateurs de l’arc-en-ciel beaucoup moins… 
Ces difficultés nous conduisent 
donc à douter de l’opportunité d’une méthode strictement objective pour 
déterminer l’existence d’un groupe protégé. D’ailleurs, après avoir adopté une 
telle méthode, particulièrement dans l’affaire Akayesu, les juges 
d’Arusha vont progressivement se tourner vers une approche subjective à partir 
de l’affaire Kayishema – Ruzindana (Jugement, 1999, § 98), 
comme le fait bien apparaître Edouard Delaplace dans sa contribution au récent 
colloque du CREDHO de Rouen consacré à la répression du génocide rwandais.
 
Mais l’approche subjective 
présente en outre d’autres difficultés. En particulier, l’une des questions qui 
se posent est de savoir s’il faut retenir la perception de l'auteur du crime ou 
celle de sa victime et, dans ce dernier cas, s’il faut retenir la perception que 
la victime a, individuellement, d’elle-même ou celle que le groupe de victimes a 
de lui-même. 
A l’instar du TPIR, il nous semble néanmoins que l’approche subjective centrée 
sur l'auteur devrait être privilégiée. 
Le but originel du crime de génocide n’est-il pas, en effet, de punir 
l’intention de détruire un groupe, quel qu’il soit, à partir du moment où le 
criminel se le représente comme tel ? Certes, il est vrai qu’une approche 
exclusivement subjective peut se heurter à un problème de preuve. Elle est 
également limitée par la liste établie dans la définition du génocide, qui 
exclut a priori les autres types de groupes, notamment politique ou 
culturel. 
Il convient cependant de remarquer que, dans l’affaire Akayesu (Jugement, 
1998, § 702), la première chambre a estimé que l’énumération n’était pas 
limitative et qu’elle pouvait s’étendre à tout groupe stable et permanent, car 
telle était l’intention des rédacteurs de la Convention de 1948. 
Au final, il nous semble donc 
que seule une combinaison des différentes approches permettra de déterminer, au 
cas par cas, si le groupe tel que se le figure subjectivement le criminel 
correspond effectivement à un groupe qui, de manière plus instinctive que 
rationnelle, est susceptible d’être objectivement identifiable par un 
observateur extérieur impartial… Tout un programme ! 
  
  
II. - CRIMES CONTRE L'HUMANITE 
  
  
L’existence de la catégorie 
« crime contre l’humanité » est bien antérieure au XXe siècle, mais son contenu 
a varié dans le temps. La Chambre de première instance I offre la définition 
contemporaine de ce crime, en ces termes : 
  
« De l’avis de la Chambre, l’article 3 du Statut 
confère au Tribunal compétence pour poursuivre des personnes du chef de divers 
actes inhumains constitutifs de crimes contre l’humanité. Cette catégorie de 
crime comporte grosso modo quatre éléments essentiels, à savoir : 
i) l’acte, inhumain par 
définition et de par sa nature, doit infliger des souffrances graves ou porter 
gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé mentale ou physique ; 
ii) l’acte doit s’inscrire dans 
le cadre d’une attaque généralisée ou systématique ; 
iii) l’acte doit être dirigé 
contre les membres d’une population civile ; 
iv) l’acte doit être commis pour 
un ou plusieurs motifs discriminatoires, notamment pour des motifs d’ordre 
national, politique, ethnique, racial ou religieux ». (Akayesu, Jugement, 
1998, § 578). 
  
Cette définition offre une vue 
synthétique assez claire de ce crime dans le Statut du TPIR. Des quatre éléments 
énumérés, le premier est commun à toute définition du crime contre l’humanité : 
c’est pourquoi notre analyse l’écarte dans les lignes à suivre, et s’intéresse 
plus particulièrement aux trois autres, à savoir la population civile, l’attaque 
généralisée ou systématique et le motif discriminatoire. 
  
  
A. - Population civile 
(contexte particulier d’un conflit interne) 
  
  
De manière générale en droit 
international humanitaire, c’est l’une des questions qui divisent, en 
corrélation avec la qualification de combattants. Ainsi selon Mario Bettati, 
« [l]a définition de la population civile est négative en ce que l’on dit ce 
qu’elle n’est pas, et non ce qu’elle est. On en déduit donc, en résumé, qu’est 
personne civile tout non-combattant ». 
Or, la difficulté de détermination du combattant, classique en droit des 
conflits armés, est accentuée par le caractère non international du conflit 
survenu au Rwanda en 1994. En effet, dans une guerre où des civils ont pris les 
armes contre d’autres civils, sans que les combattants caractérisés – groupes 
armés organisés – ne soient hors du jeu, comment déterminer qui, de la 
population civile, participe au conflit ?  
Nous pensons que le caractère 
civil de certaines personnes doit être présumé de manière irréfragable. C’est le 
cas notamment des enfants 
et de toute personne inapte à combattre. Mais il reste une marge d’incertitude 
importante. La jurisprudence du TPIR n’est pas prolixe sur cette définition, et 
il faut rechercher, au cas par cas, la preuve que la victime est ou non un 
membre de la population civile.
 
  
  
B. - Attaque généralisée ou systématique 
  
  
A la lecture de la seule version 
française du Statut du TPIR, on aurait pu croire à une autre spécificité, dans 
la mesure où les deux formes d’attaque semblent constituer des critères 
cumulatifs, en raison de la conjonction de coordination « et ». Mais dès 
l’affaire Akayesu, les juges ont rétabli la concordance entre cette 
version et les autres versions linguistiques, en affirmant qu’il s’agissait là 
d’une erreur de traduction (Jugement, 1998, § 579, note 143). Ils en ont profité 
pour affirmer l’existence d’une définition coutumière dans laquelle ces deux 
caractères de l’attaque sont alternatifs, ce que semble confirmer le Statut de 
Rome dans son Article 7 (§ 1), puisque cette disposition n’a pas fait l’objet de 
discussions particulières durant la Conférence de Rome.  
Quant à la définition même des 
deux caractères, la Chambre d’instance a affirmé que « [l]e caractère 
‘généralisé’ résulte du fait que l’acte présente un caractère massif, fréquent, 
et que mené collectivement, il revêt une gravité considérable et est dirigé 
contre une multiplicité de victimes. Le caractère ‘systématique’ tient, quant à 
lui, au fait que l’acte est soigneusement organisé selon un modèle régulier en 
exécution d’une politique concertée mettant en œuvre des moyens publics ou 
privés considérables » (ibid., § 580). 
Quant à l’attaque, elle « peut se définir comme tout acte contraire à la loi du 
type énuméré aux alinéas a) à i) de l’article 3 du Statut (assassinat, 
extermination, réduction en esclavage, etc.) » (ibid., § 581).
 
De ces précisions, il résulte 
d’abord une insatisfaction : l’absence de seuil dans la gravité, le caractère 
massif, la fréquence, etc. Un tel seuil est indéterminable, sauf à adopter une 
approche numérique de l’inhumanité : un millier de morts pourrait ainsi 
constituer un crime contre l’humanité, tandis que « mille moins un » (999) morts 
n’en constituerait pas un. 
L’impossibilité pratique de ce critère, qui en accentue la subjectivité, ne 
devrait-elle pas conduire à adopter des critères moins fluctuants pour une 
meilleure sécurité juridique ?
 
De plus, il découle de ces 
définitions qu’il n’est pas nécessaire que soit établie l’existence d’une 
politique d’État (ibid., § 580). 
Le parallèle doit être établi ici avec le génocide pour lequel l’intention de 
détruire peut résulter d’une politique d’ensemble qui n’est pas forcément la 
politique d’un État déterminé. Mais il est nécessaire qu’il s’agisse de la 
politique d’un groupe humain donné.  
Enfin, et s’agissant des actes 
constitutifs de crimes contre l’humanité, il faut signaler le cas particulier du 
viol, pour lequel, en l’absence d’un consensus international (ibid., 
§ 596), la Chambre offre sa définition en s’inspirant en partie de 
jurisprudences nationales : le viol est « une invasion physique de nature 
sexuelle commise sur la personne d’autrui sous l’emprise de la contrainte » (ibid., 
§ 598). 
Cette méthode pose toujours problème dans la mesure où elle confère un large 
pouvoir d’interprétation à des juges qui n’ont qu’une vision parcellaire des 
droits nationaux, malgré l’utilisation de la formule rituelle « les grands 
systèmes juridiques ». Pourtant cette définition fera jurisprudence devant les 
TPI, puisque dans l’affaire Furundzija, la Chambre de première instance 
du TPIY la reprend à son compte et l’approfondit.
 
  
  
C. - Motif discriminatoire 
  
  
La définition que le TPIR donne 
de la discrimination dans la qualification du crime contre l’humanité corrobore 
parfaitement notre affirmation selon laquelle les crimes commis à l’encontre 
d’autres groupes que ceux mentionnés dans la définition du génocide, entrent 
dans cette catégorie plus large. L’article 3 du Statut du TPIR inclut d’ailleurs 
expressément le groupe politique. S’agissant des quatre autres groupes – 
national, racial, ethnique ou religieux – qui sont communs aux crimes contre 
l’humanité et au génocide, la distinction se fera dans l’existence ou non de 
l’intention spéciale : la volonté de détruire, en tout ou en partie, le groupe. 
En l’absence de cette intention, la personne en cause est coupable d’un crime 
contre l’humanité. 
Il faut ajouter que ce motif 
discriminatoire constitue, conformément à la jurisprudence constante du TPIR, 
une limitation spéciale de sa compétence, 
limitation dérogatoire au droit international coutumier qui n’exige pas cet 
élément sauf pour la persécution.  
  
  
III. – CRIMES DE GUERRE 
  
  
Dans la catégorie des « crimes 
de guerre », l’article 4 du Statut du TPIR incrimine de manière générale les 
« violations graves » de l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et 
de leur Protocole additionnel II avant de dresser, dans ses alinéas a) à h), une 
liste non limitative d’infractions constitutives de ces violations graves. Au 
moins sur le papier, la compétence du TPIR diffère donc substantiellement de 
celle du TPIY. 
Parmi les affaires étudiées, des 
chefs d’accusation fondés sur des violations de l’article 3 commun et du 
Protocole II ont été émis contre Akayesu, Kayishema, Ruzindana, Rutaganda et 
Musema et Bagilishema. Tous ces chefs d’accusation sont relatifs aux articles 4 
a) ou 4 e) du Statut. A chaque fois, les juges de première instance ont prononcé 
des verdicts de non culpabilité. La Chambre d’appel n’a eu pour l’instant à se 
prononcer qu’une seule fois sur ce fondement, dans l’affaire Akayesu. 
Bien que ne souscrivant pas au raisonnement de la Chambre de première instance 
sur la nécessité du lien entre l'auteur de l’infraction et une partie au 
conflit, elle n’est pas revenue sur la non-culpabilité d’Akayesu pour ce chef 
d’accusation, car l’appel du Procureur ne portait que sur la réformation d’une 
erreur de droit. Dans l’affaire Kayishema – Ruzindana, l’appel du 
procureur a été rejeté car présenté hors délais. Dans l’affaire Musema, 
le procureur n’a pas interjeté appel. Enfin, dans l’affaire Rutaganda, 
l’acte d’appel du Procureur a été déposé le 6 janvier 2000, mais la décision 
d’appel est pour l’instant en délibéré. 
L’étude des affaires précitées 
apporte de nombreux éléments sur les conditions d’application des « violations 
graves » visées à l’article 4 du Statut. Elle ne nous apprend en revanche rien 
sur la définition de ces différentes infractions puisque les juges ont estimé 
que toutes les conditions d’application n’étaient pas réunies. Nous allons donc 
passer en revue de manière thématique les conditions posées par le TPIR pour 
l’application de l’article 4 de son Statut, à partir d’une lecture croisée des 
décisions. Après s’être penchés sur la valeur juridique des normes visées à 
l’article 4 au moment de la commission des faits et sur la possibilité d’engager 
la responsabilité pénale individuelle des auteurs de leur violation (A), les 
juges ont ensuite qualifié la situation en vigueur au Rwanda au moment des 
faits, pour voir si elle permettait l’application des textes visés au Statut (B) 
avant d’examiner les conditions tenant au rapport entre l’infraction et le 
conflit armé (C) et à la qualité de la victime de l’infraction (D). 
  
  
A. - Valeur juridique des 
règles inscrites à l’article 4 du Statut et fondement de la responsabilité 
pénale individuelle 
  
  
Elaboré directement par le 
Conseil de sécurité, et non en collaboration avec les services juridiques du 
Secrétaire général, comme l’avait été celui du TPIY, le Statut du TPIR avait été 
critiqué par le Secrétariat général au motif que son article 4 relevait 
davantage de la lex ferenda que du droit positif. 
La question du fondement légal des incriminations de l’article 4 était donc 
particulièrement importante pour le tribunal s’il ne voulait pas se voir 
reprocher une violation du principe cardinal nullum crimen sine lege. Or, 
en droit international pénal, c’est un double fondement légal qu’il convient de 
démontrer. Il ne suffit pas d’établir l’existence de la règle violée en droit 
international ; il faut aussi prouver qu’il s’agit d’une règle dont la violation 
engage la responsabilité pénale individuelle selon le droit international. 
  
1. - Valeur juridique des 
normes visées à l’article 4 du Statut 
  
Le Rwanda étant partie aux 
Conventions de Genève de 1949 et au Protocole II au moment des faits, le 
fondement conventionnel des normes visées à l’article 4 est incontestable. Quant 
à leur caractère coutumier, il est, dans un premier temps, facilement démontré 
par la Chambre de première instance I dans l’affaire Akayesu (Jugement, 
1998, §§ 608-610). Celle-ci rappelle d’abord que la valeur coutumière de 
l’article 3 commun a été établie par le TPIY. 
Puis, pour démontrer le caractère coutumier des autres normes visées à l’article 
4 du Statut, elle estime que ces règles sont extraites de l’article 4 § 2 du 
Protocole II, et que celui-ci ne fait que reprendre et compléter les 
dispositions de l’article 3 commun. La question de la valeur des autres articles 
du Protocole II est donc laissée en suspens par la Chambre de première instance 
I, qui se contente de reprendre à son compte l’affirmation du TPIY 
selon laquelle certaines dispositions seulement du Protocole II, qu’elle ne 
précise pas, présentent un caractère coutumier. En effet, la liste d’infractions 
jointe à l’article 4 du Statut n’étant qu’illustrative, d’autres articles du 
Protocole II pourraient en théorie rentrer dans le champ de compétence 
ratione materiae du Tribunal, 
à condition que l'auteur de l’infraction ait commis une « violation grave » de 
cette disposition. Selon le TPIR (Jugement Akayesu, 1998, § 616 ; 
Jugement Musema, 2000, § 286), qui reprend la définition donnée par le 
TPIY (Arrêt Tadic, 1995, § 94), une violation grave est une infraction 
qui viole une règle protégeant des valeurs importantes et qui emporte de graves 
conséquences pour la victime. Cette définition, qui n’en est pas vraiment une en 
raison de son caractère circulaire, a permis au TPIY dans l’affaire Celebici 
d’écarter le chef d’accusation de pillage comme ne présentant pas ce critère de 
gravité. 
Curieusement, dans les affaires 
suivantes, les juges restent nettement plus réservés sur le caractère coutumier 
de ces dispositions. Dans les affaires Musema et Rutaganda, le 
caractère coutumier est affirmé du bout des lèvres, exclusivement par référence 
à Akayesu. Dans l’affaire Kayishema – Ruzindana, la Chambre de 
première instance II se replie nettement sur le fondement conventionnel et 
semble douter de la pertinence du fondement coutumier. 
  
2. - Fondement de 
l’incrimination 
  
A la différence des quatre 
conventions de Genève relatives aux conflits armés internationaux, ni l’article 
3 commun à ces conventions, ni le Protocole II ne prévoient de responsabilité 
pénale individuelle pour les auteurs d’infractions graves à leurs dispositions. 
La base conventionnelle est donc inopérante pour démontrer le fondement légal de 
l’incrimination, et il ne reste que le recours à la coutume. 
Pour démontrer le caractère 
coutumier de l’incrimination, la Chambre I s’est essentiellement appuyée, dans
Akayesu (Jugement 1998, § 613), sur les conclusions du TPIY dans l’arrêt
Tadic de 1995, qui avait lui-même emprunté la démarche du Tribunal de 
Nuremberg. 
Le TPIY s’était ainsi référé à la législation des États de l’ex-Yougoslavie et à 
d’autres législations nationales pour déduire le caractère coutumier de la 
criminalisation des violations graves des règles et principes coutumiers 
relatifs aux conflits internes. 
Bien que le TPIR n’ait pas pu en tenir compte en 
raison du principe de non rétroactivité en matière pénale, il convient de 
souligner que la démonstration faite dans l’arrêt Tadic pourrait 
aujourd’hui être renforcée par la mention des articles 8 § 2 c et 8 § 2 e du 
Statut de la Cour pénale internationale (CPI) et par un examen des positions des 
États lors des négociations, autant d’éléments qui fournissent des indices 
supplémentaires de la cristallisation de cette norme coutumière d’incrimination.
 
Dans l'affaire Kayishema – 
Ruzindana, la Chambre de première instance II qui, comme on l’a vu, avait 
préféré ne pas se prononcer sur le caractère coutumier des normes visées à 
l’article 4, reste très laconique sur la responsabilité individuelle, et ne 
fonde cette dernière que sur le droit pénal rwandais, qui, selon elle, 
incriminait toutes les infractions mentionnées à l’article 4 du Statut au moment 
des faits. Mais, curieusement, aucun renvoi précis au droit rwandais n’est 
effectué, et le TPIR ne précise pas si ces infractions étaient simplement 
codifiées comme crimes de droit commun ou si elles l’étaient aussi comme crimes 
de guerre commis à l’occasion d’un conflit armé non international, ce qui paraît 
toutefois peu probable.
 
  
  
B. - Conditions d’application
ratione contextus 
  
  
Selon le TPIR, l’accusation doit 
apporter dans chaque affaire la preuve qu’un conflit armé interne répondant à la 
définition requise pour l’application de l’article 3 commun aux Conventions de 
Genève de 1949 et du Protocole II se déroulait sur le territoire rwandais au 
moment de la commission des faits incriminés (Jugement Akayesu, 1998, 
§ 618). 
Sur la notion de conflit armé, 
les chambres estiment qu’elle se distingue de celle de troubles et tensions 
internes par une différence d’intensité des hostilités et d’organisation des 
parties en présence. Un conflit armé implique donc l’existence d’hostilités 
ouvertes entre les autorités gouvernementales et des groupes armés plus ou moins 
organisés ou entre de tels groupes au sein d'un Etat. Il commence dès 
l’ouverture des hostilités et se prolonge jusqu'à ce qu'un règlement pacifique 
soit atteint. (Jugement Akayesu, 1998, § 619 ; Jugement Musema, 
2000, § 248. La même définition est donnée par le TPIY dans l’arrêt Tadic, 
1995, § 70). 
Concernant la notion de conflit 
armé non-international, les chambres reconnaissent que l’article 3 commun aux 
Conventions de Genève de 1949 et le Protocole II obéissent à des conditions 
d’application distinctes (Jugement Akayesu, 1998, § 607 ; Jugement 
Rutaganda, 1999, §§ 74-78). Pour l’article 3 commun, sont utilisés les 
critères proposés par le CICR dans son commentaire des Conventions de Genève 
(Jugement Akayesu, 1998, § 619 ; Jugement Rutaganda, 1999, § 75). 
Pour le Protocole II, les chambres utilisent les critères précis énoncés à 
l’article 1 alinéa 1 de ce texte. Néanmoins, pour l’application de l’article 4 
du Statut, il semble que les juges d’Arusha exigent que soit démontrée la 
condition d’application la plus contraignante, à savoir celle du Protocole II. 
Pour les crimes commis entre le 
7 avril 1994 et le 18 juillet 1994, date de l’entrée victorieuse du FPR dans 
Kigali, la condition d’indivisibilité de la qualification posée par le TPIR ne 
suscitera pas de difficultés car il ne fait aucun doute qu’un conflit non 
international de type Protocole II se déroulait alors au Rwanda. 
Tous les actes d’accusation émis jusqu’à présent concernent cette période. 
Néanmoins, la compétence ratione temporis du tribunal s’étend du 1er janvier 
au 31 décembre 1994 et le Procureur pourrait prochainement décider de lancer des 
poursuites contre des membres du FPR pour des crimes commis après le 18 juillet. 
Pourra-t-on encore considérer qu’il y a conflit armé, et surtout que la 
condition du contrôle du territoire par les forces rebelles, nécessaire pour 
identifier un conflit armé de type Protocole II, est toujours remplie ? 
 
  
  
C. - La condition du lien 
entre l’infraction et le conflit armé 
  
  
C’est l’établissement de ce lien 
qui fait la spécificité des crimes de guerre et qui permet de les distinguer des 
crimes de droit commun commis à l’occasion d’un conflit armé. 
Pour le démontrer, il n’est cependant pas nécessaire que les infractions se 
déroulent à proximité immédiate du terrain des hostilités. Le droit 
international humanitaire s’applique en effet sur l’ensemble du territoire de la 
Haute Partie contractante et la connexité entre l’infraction et le conflit sera 
établie y compris dans le cas où les crimes sont liés à des hostilités se 
déroulant dans d’autres parties du territoire. 
Dans les différentes affaires étudiées, les juges refusent de définir in 
abstracto le lien de connexité, ce qui leur permet d’en apprécier 
souverainement l’existence au cas par cas, sur la base des faits présentés par 
le Procureur (Jugement Kayishema – Ruzindana, 1999, § 189 ; Jugement 
Musema, 2000, § 262 qui reprend le Jugement Rutaganda). 
 
Dans les affaires Musema 
(Jugement 2000, § 974) et Rutaganda (Jugement 1999, § 481), les juges ont 
estimé, sans plus de précision, que le Procureur n’avait pas démontré, au delà 
de tout doute raisonnable, l’existence d’un tel lien entre les crimes reprochés 
à l’accusé et le conflit armé. 
Dans les affaires Akayesu 
et Kayishema – Ruzindana, c’est pour un autre motif que les chefs 
d’accusation de crimes de guerre ont été rejetés : le défaut de démonstration du 
lien entre l'auteur de l’infraction et l’une des parties au conflit. En réalité, 
dans les quatre affaires étudiées, les juges de première instance du TPIR ont 
érigé ce critère en condition autonome d’application de l’article 4 du Statut, à 
côté de celui du lien entre l’infraction et le conflit, alors que le TPIY ne le 
considère lui que comme un moyen parmi d’autres de prouver l’existence de la 
relation entre l’acte criminel et le conflit armé. 
Les chambres de première instance ont ainsi élaboré une définition précise des 
auteurs qui pourront être tenus responsables de violations graves de l’article 3 
commun ou du Protocole II. Selon elles, l’article 4 s’applique « aux individus 
de tous rangs qui appartiennent aux forces armées sous le commandement militaire 
de l'une ou l'autre partie belligérante, ou aux individus qui ont été dûment 
mandatés et qui sont censés soutenir ou mettre en œuvre les efforts de guerre du 
fait de leur qualité de responsables ou d’agents de l'Etat ou de personnes 
occupant un poste de responsabilité ou de représentants de facto du 
Gouvernement. » (Jugement Akayesu, 1998, § 631, Jugement Kayishema – 
Ruzindana, 1999, §§ 175 et ss. ; Jugement Rutaganda, 1999, § 81 ; 
Jugement Musema, 2000, § 266). Autrement dit, les civils ne pourront voir 
leur responsabilité engagée que s’ils étaient agents publics de facto ou
de jure et s’il est démontré qu’à ce titre, ils soutenaient effectivement 
l’effort de guerre.
 
Cette approche a néanmoins été censurée par la 
Chambre d’appel du TPIR dans l’arrêt Akayesu. Pour la Chambre d’appel, 
l’objet et le but de l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 
commandant qu’on ne fasse pas du rapport particulier entre l'auteur des 
infractions et une partie au conflit une condition autonome de mise en œuvre de 
la responsabilité pénale pour une violation de l’article 4 du Statut (Arrêt 
Akayesu, 2001, § 444). Ainsi, selon elle, « la Chambre de première instance 
a commis une erreur sur un point de droit en limitant l’application de l’article 
3 commun à une certaine catégorie de personnes » (ibid., § 445), ce qui 
ne l’empêche pas de rappeler que le lien étroit entre les violations commises et 
le conflit armé requis par l’article 3 commun « implique que, dans la plupart 
des cas, l’auteur du crime entretiendra probablement un rapport particulier avec 
une partie au conflit » (ibid., § 444). La Chambre d’appel rejette donc 
le critère dit de l’agent public employé par les chambres de première instance. 
Elle s’inscrit ainsi dans la droite ligne de la jurisprudence des différents 
tribunaux militaires nationaux qui avaient eu à connaître, parallèlement au 
Tribunal militaire international de Nuremberg (TMI), des atrocités de la seconde 
guerre mondiale et qui avaient déjà rejeté la limitation de la responsabilité 
pénale pour crimes de guerre aux seuls membres des forces armées et agents 
publics. 
La définition donnée par les 
juges de première instance est sans doute trop restrictive. Elle aurait 
notamment eu pour conséquence d’exclure du champ des crimes de guerre les 
casques bleus participant à des opérations de maintien de la paix qui, par 
définition, ne présentent aucun lien avec les parties au conflit. De manière 
plus générale, l’esprit du droit international humanitaire ne commande sans 
doute pas de poser des conditions aussi strictes de rattachement des exactions 
commises contre la population civile avec le conflit armé. Néanmoins cette 
démarche conduit à s’interroger sur la question, à notre sens légitime, de la 
responsabilité pénale d’individus isolés, dépourvus de tout lien avec une partie 
au conflit, pour violations graves du droit international humanitaire. Sont-ils 
vraiment en mesure de respecter ce droit qui s’adresse à des parties ayant un 
minimum d’organisation ? Dès lors, relèvent-ils vraiment du droit international 
pénal ? Ne convient-il pas d’établir une distinction entre les crimes de guerre 
« de droit international », qui correspondent à des infractions 
internationalement définies et qui permettent de poursuivre les auteurs selon le 
principe de la compétence universelle ou devant une juridiction internationale, 
et les crimes de guerre « de droit interne », qui ne sont que l’inscription 
discrétionnaire par un Etat dans sa législation de tous les autres actes en 
relation avec la guerre qu’il souhaite incriminer, mais dont la répression ne 
pourra se faire que selon le principe de la compétence territoriale ou 
personnelle ? Or, justement, l’accord de Londres du 8 août 1945 établissait une 
distinction entre « les criminels de guerre dont les crimes sont sans 
localisation géographique précise », qui devaient être jugés par le TMI, et tous 
les autres responsables d’atrocités, « qui seront renvoyés dans les pays où 
leurs forfaits abominables ont été perpétrés, afin d’y être jugés et punis 
conformément aux lois de ces pays libérés ». On peut donc se demander si la 
référence à ces jugements est vraiment probante concernant le TPIR, dont la 
compétence repose exclusivement sur le droit international.  
Autant de questions auxquelles 
nous n’avons pas la prétention d’apporter de réponse tranchée, mais que les 
juges du TPIR ont le mérite d’avoir soulevées. Peut-être d’ailleurs malgré eux, 
car il est probable qu’en l’espèce, des arguments de politique pénale aient 
davantage pesé dans le choix de ce double critère que des considérations 
strictement juridiques. Il est en effet assez facile, à travers les affaires 
étudiées, d’identifier un certain embarras du TPIR à l’égard des crimes de 
guerre, qui peut s’expliquer par la particularité du contexte rwandais. Deux 
catégories simultanées d’événements se sont en effet déroulés au Rwanda en 1994 
: d’une part le conflit armé proprement dit entre l’armée régulière rwandaise 
(FAR) et le FPR, qui luttaient pour le pouvoir dans le pays ; d’autre part une 
chasse à l’homme systématique, orchestrée par les autorités civiles et 
militaires, et dont le but était de massacrer des civils sans armes, 
spécifiquement désignés. Or, comme les chefs d’accusation de crimes de guerre et 
de génocide visent les mêmes faits, il nous semble que le TPIR redoute que la 
double qualification ne vienne diminuer la portée de l’accusation de génocide, 
qui constitue la priorité de la politique jurisprudentielle du Tribunal. Nous ne 
discuterons pas ici des raisons de cette priorité. 
Mais elles peuvent expliquer les conditions très contraignantes posées par le 
TPIR pour établir la connexité de l’infraction et du conflit armé, dès lors que 
les règles relatives au concours d’infractions prescrivent le cumul de ces deux 
qualifications (cf. infra, IV). 
On est ainsi en droit de se 
demander si les crimes de guerre n’ont pas été éclipsés par la priorité donnée 
au génocide et si le verdict des juges serait identique dans l’impossibilité de 
prouver la qualification de génocide. Cette intuition est renforcée par l’examen 
de deux arrêts récents rendus par des tribunaux belges et suisses sur le drame 
rwandais, deux affaires dans lesquelles la condamnation pour génocide était 
exclue puisque ce crime n’était pas intégré à la législation pénale de ces deux 
pays au moment des faits… Le 27 avril 2001, le Tribunal militaire de cassation 
suisse condamnait définitivement, pour des faits similaires à ceux de l’affaire
Akayesu, un ancien bourgmestre rwandais pour crimes de guerre en 
appliquant pourtant à la lettre la « double condition » définie par les chambres 
de première instance du TPIR… 
Le 7 juin 2001, la Cour d'assises de Bruxelles condamnait, pour sa part, par un 
jugement non motivé par écrit dont les médias se sont largement fait l’écho 
(procès des « quatre de Butare »), 
un professeur d'université, un industriel et deux religieuses pour crimes de 
guerre sur le fondement de la loi belge de 1993 qui réprime les violations 
graves du droit international humanitaire. Pour le TPIR, l’épreuve de vérité en 
matière de crimes de guerre viendra sans doute lorsqu’ils auront à juger des 
membres du FPR, si toutefois ils ont à le faire un jour… Il sera sans doute 
impossible d’établir la qualification de génocide pour ces actes, et celle de 
crime de guerre pourrait dès lors retrouver grâce aux yeux des juges d’Arusha. 
  
  
D. - Conditions d’application
ratione personae tenant à la qualité de la victime 
  
  
L’alinéa premier de l’article 3 
commun aux Conventions de Genève de 1949 confère une protection aux « personnes 
qui ne participent pas directement aux hostilités » et l’article 4 du Protocole 
II vise quant à lui « toutes les personnes qui ne participent pas directement ou 
ne participent plus aux hostilités ». Les juges souscrivent à cette définition 
négative de la personne civile 
(Jugement Kayishema – Ruzindana, 1999, §§ 177-181). Mais, au surplus, 
dans les Jugements Rutaganda (1999, § 84) et Musema (2000, 
§§ 276-281), les juges avancent leur propre définition de la victime, qui n’est 
autre que le reflet de leur définition de l'auteur. 
Néanmoins, le rejet de cette dernière par les juges d’appel dans l’affaire 
Akayesu rejaillit nécessairement sur celle de la victime. Surtout, faut-il 
rappeler à la Chambre II que, dans un conflit interne, par définition, victimes 
et bourreaux partagent la même nationalité ? On ne peut donc absolument pas 
appliquer dans ce contexte la logique de la 4ème Convention de 
Genève, qui ne protège que les ressortissants civils de la partie adverse. 
Malgré la différence de 
rédaction des deux Statuts et mis à part le problème du lien entre l'auteur de 
l’infraction et une partie au conflit, le TPIR suit donc très fidèlement, pour 
déterminer les conditions d’application de l’article 4, l’analyse faite par les 
juges de La Haye pour l’article 3 du Statut du TPIY. La mise en œuvre de ces 
deux articles impose donc que les conditions générales suivantes soient 
réunies :  
- une norme de droit international humanitaire, qui 
peut être coutumière ou conventionnelle, doit avoir été violée ;  
- la violation doit être grave 
et entraîner, en vertu du droit international coutumier ou conventionnel, la 
responsabilité pénale individuelle de son auteur ;  
- la violation doit avoir été 
commise dans le cadre d’un conflit armé et un lien étroit doit exister entre 
cette violation et ledit conflit ;  
- enfin la victime doit 
présenter la qualité de personne ne participant pas aux hostilités.
 
  
  
IV. – LE CONCOURS IDEAL D'INFRACTIONS 
  
  
Dans le cas, fréquent, où un 
même fait revêt plusieurs qualifications juridiques sous des chefs d’accusation 
différents, les juges ne doivent-ils retenir qu’une seule desdites 
qualifications ou peuvent-ils reconnaître l’accusé coupable de toutes les 
infractions susceptibles de découler du même fait ? Telle est la question 
soulevée par le concours idéal d’infractions. Deux problèmes distincts doivent 
en réalité être distingués. Celui du concours d’infractions au sein d’un même 
crime n’a pas posé de problème particulier aux juges. Ils ont en effet 
clairement rejeté la possibilité d’être condamné cumulativement, pour un même 
fait, comme auteur principal et complice (Jugement Akayesu, 1998, § 469 ; 
Jugement Musema, 2000, § 291). Celui du concours d’infractions entre deux 
crimes différents mérite en revanche une attention particulière. Il a en effet 
divisé la première et la deuxième chambre du TPIR avant que la chambre d’appel 
ne mette un terme au différend dans l’arrêt Musema. En effet, dans le 
jugement Kayishema – Ruzindana, la Chambre de première instance II s’est 
écartée de la solution retenue par la Chambre de première instance I et le TPIY. 
Dans cette affaire, l’acte 
d’accusation qualifie les mêmes faits à la fois de meurtre et d’extermination, 
et les incrimine tant sur le fondement du génocide que du crime contre 
l’humanité. La chambre II n’a finalement retenu que le chef de génocide car, 
selon elle, « les chefs d’extermination et d’assassinat sont […] entièrement 
compris dans celui de génocide, et constituent, en l’occurrence, une seule et 
même infraction » (Kayishema – Ruzindana, Jugement, 1999, § 648). A 
première vue, une telle solution paraît étonnante lorsque l’on sait que la 
Chambre de première instance II a défendu une position de principe similaire à 
celle adoptée dans l’affaire Akayesu 
par la Chambre I, selon laquelle un accusé ne peut être reconnu coupable de 
différentes infractions pour les mêmes faits que si les éléments constitutifs 
des infractions visées ou les intérêts que la société cherche à protéger à 
travers ces dispositions sont différents. 
Or, dans les jugements Musema, Rutaganda, Akayesu, 
Kambanda et Serushago, la Chambre de première instance II a prononcé 
des condamnations multiples pour génocide et crime contre l’humanité 
(extermination). En réalité, la divergence s’explique par le fait que les deux 
chambres n’ont pas utilisé la même méthode de comparaison des éléments 
constitutifs des infractions. Curieusement, la Chambre II ne procède pas à cette 
comparaison de manière abstraite, en vérifiant que l’un au moins des éléments 
constitutifs d’une des infractions en concours se distingue, sur le papier, des 
éléments constitutifs de l’autre infraction, mais in concreto, en 
fonction des faits de l’espèce. 
La chambre II constate en effet que les actes incriminés correspondent aux 
éléments constitutifs des deux infractions pour en déduire que les éléments du 
crime d’extermination et d’assassinat sont, en l’espèce, englobés dans ceux du 
génocide. Ce raisonnement nous semble erroné. En effet, si le problème du 
concours de qualifications se pose, c’est justement parce que les définitions 
des crimes visés au Statut se recoupent partiellement. L’analyse concrète 
proposée par la chambre II s’apparente en réalité à une simple opération de 
qualification. Elle ne permet de distinguer que la partie commune des éléments 
constitutifs, et non leur partie autonome. Cette solution a d’ailleurs été 
contestée par le juge Khan dans son opinion dissidente, ainsi que par le 
Procureur. Mais, l’appel de ce dernier ayant été rejeté dans l’affaire 
Kayishema – Ruzindana car présenté hors délais, il faudra attendre l’arrêt
Musema pour connaître la position de la chambre d’appel sur la question. 
Cette dernière retient, comme il fallait s’y attendre, la méthode abstraite de 
comparaison et reprend les conclusions de la Chambre d’appel du TPIY dans 
l’affaire Celebici. 
Deux exemples issus de la 
jurisprudence du TPIY permettront de mieux comprendre cette comparaison des 
éléments constitutifs. Dans l’arrêt Kupreskic (2002, § 386), la Chambre 
d’appel du TPIY infirme la conclusion des juges de première instance qui ont 
déclaré impossible le cumul du meurtre comme violation des lois et coutumes de 
la guerre (article 3 du Statut) et de l’acte inhumain comme crime contre 
l’humanité (article 5 du Statut). Elle estime en effet que l’article 3 exige un 
lien étroit entre l’infraction et le conflit armé, élément qui n’est pas requis 
par l’article 5 tandis que, pour sa part, l’article 5 exige la preuve que l’acte 
incriminé soit commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique 
contre la population civile, ce qui n’est pas le cas de l’article 3. En 
conséquence, le cumul des condamnations est possible pour les mêmes faits sur le 
fondement des articles 3 et 5 du Statut du TPIY. 
En revanche, dans l’arrêt 
Celebici (2001, § 420 ), la même Chambre d’appel estime que le cumul entre 
les qualifications d’homicide intentionnel et de meurtre fondées sur les 
articles 2 et 3 du Statut n’est pas envisageable. En effet, on ne peut relever 
qu’une seule différence dans les définitions respectives : l’article 2 exige que 
les actes criminels soient commis contre une personne protégée tandis que 
l’article 3 requiert que la victime soit une personne ne prenant pas une part 
active aux hostilités. Les personnes protégées étant nécessairement des 
individus qui ne prennent pas une part active aux hostilités, la définition de 
l’article 3 est certes plus large mais elle ne contient pas « d’élément 
matériellement distinct », car elle n’exige pas la preuve d’un fait qui n’est 
pas requis par la définition de l’article 2. Il convient donc de retenir 
l’article 2 car sa définition est plus spécifique. 
La jurisprudence des deux 
tribunaux pénaux est donc désormais claire en la matière. Le cumul des 
qualifications est autorisé de manière générale dans les actes d’accusation 
(Arrêt Musema, 2001, § 369) et les juges peuvent prononcer, si les 
conditions examinées ci-dessus sont remplies, des condamnations multiples, en 
appliquant ensuite la confusion des peines. Il convient néanmoins de remarquer 
que la comparaison des éléments constitutifs des différentes infractions ne 
fournira pas nécessairement la même réponse pour le Statut du TPIR et pour celui 
du TPIY. En effet, les définitions des crimes ne sont pas identiques dans les 
deux Statuts, notamment pour les crimes contre l’humanité. 
En définitive, l’admission, 
selon une doctrine assez libérale, du cumul des condamnations renforce le 
maillage de la répression internationale 
et évite aux juges d’avoir à établir une hiérarchie des infractions, comme ils 
auraient dû le faire s’ils avaient opté pour la solution de certaines 
législations pénales qui, en cas de concours idéal, ne retiennent que 
l’infraction la plus grave. 
Néanmoins, au regard des difficultés soulevées par un éventuel cumul des 
qualifications de crime de guerre et de génocide dans le contexte rwandais (cf.
supra, III, C), on peut se demander si le temps n’est pas venu pour un 
grand débat sur cette question, légitime, de la hiérarchisation. 
  
  
CONCLUSION
  
  
Cette analyse transversale des 
affaires définitivement jugées par le tribunal d’Arusha révèle à tout le moins 
un sentiment d’inachevé, voire une insatisfaction globale devant le produit de 
son activité judiciaire. Mais nul doute que la critique serait plus virulente 
encore si ce tribunal n’existait pas. Il faut donc espérer que les prochaines 
décisions du TPIR compléteront opportunément ce développement imparfait, tout 
comme la jurisprudence nationale à venir sur le même sujet. En effet, lors de 
leur douzième assemblée plénière, les juges ont adopté un nouvel article 11 
bis au Règlement de preuve et de procédure, qui permet au TPIR de transférer 
des affaires aux juridictions nationales de l’État d’arrestation ou de tout 
autre État. 
Ceci répond à l’ultimatum, lancé aux Tribunaux pénaux internationaux par le 
Conseil de sécurité sous la pression des États-Unis, afin que leur mission soit 
achevée au plus tard en 2008. En consacrant une compétence universelle 
conjoncturelle, 
cette innovation conduit les juridictions nationales à venir compléter, dans une 
probable cacophonie, l’œuvre des TPI. Il est en effet à craindre que l’absence 
d’un organe suprême pour uniformiser l’interprétation du droit ne nuise à la 
cohérence du système mis en place. En revanche, entre les deux TPI, la chambre 
d’appel commune ainsi que la volonté de leur administration respective d’œuvrer 
dans le sens d’une coopération renforcée – comme en témoigne la déclaration 
commune des greffiers en date du 20 septembre 2001 
– assurent un certain degré d’harmonisation. Les chroniques à venir dans cette 
même rubrique nous permettront de poursuivre cette ébauche d’appréciation de la 
jurisprudence du TPIR. 
  
  
* * * 
  
  
   
  NOTES 
    
  
     
   
   
   
   
  
   
  
  
   
  La Cour internationale de Justice a récemment affirmé le caractère absolu de 
  cette immunité pour un ministre des affaires étrangères en exercice : Arrêt du 
  14 février 2002 dans l’affaire du Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 
  (République démocratique du Congo c/ Belgique). Voir notamment QUENEUDEC 
  Jean-Pierre, « Un arrêt de principe : l'arrêt de la C.I.J. du 14 février 
  2002 », cette revue, mai 2002 (http://www.ridi.org/adi/articles/2002/200205que.htm) 
  et VERHOEVEN Joe, « Mandat d'arrêt international et statut de ministre », 
  cette revue, mai 2002 (http://www.ridi.org/adi/articles/2002/200205ver.htm).  
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
  
   
   
  
   
  
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
  
  
   
   
   
   
   
   
   
   
  
  
   
   
  
   
   
   
   
   
   
   
   
  
  
   
  Ainsi, selon la Chambre de première instance I dans l’affaire Rutaganda, 
  même si l’acte d’accusation ne comporte que des chefs d’accusation fondés sur 
  l’article 3 commun, il convient pour l’accusation de prouver que les 
  conditions d’application du Protocole II sont réunies. La Chambre estime en 
  effet, au § 424 du Jugement, « que les conditions matérielles d'application de 
  l'Article 4 du Statut sont indivisibles, autrement dit qu'il doit être 
  satisfait aux conditions de l'Article 3 commun et du Protocole additionnel II 
  pris ensemble pour qu'une infraction soit réputée tomber sous le coup de 
  l'Article 4 du Statut ».  
  
  Dans Kayishema – Ruzindana, 
  la Chambre de première instance II ne pose pas clairement cette condition de 
  l’indivisibilité mais ne se penche que sur les conditions d’application du 
  Protocole II, et non de l’article 3 commun (§§ 170-172).  
  
  On peut remarquer que cette condition de contrôle 
  du territoire, propre au Protocole II, ne figure plus dans les définitions des 
  conflits armés non internationaux des articles 8 d et 8 f du statut de la CPI, 
  qui doivent servir respectivement de référence pour l’application des 
  violations incriminées aux articles 8 c et 8 e.  
  
  
   
  C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle les chambres parviennent dans les 
  affaires étudiées : voir Jugement Akayesu, 1998, § 627 ; Jugement 
  Kayishema – Ruzindana, 1999, § 597 ; Jugement Musema, 2000, §§ 
  244-258. 
  
   
   
  
  
   
  Sur ce point, voir, pour le TPIR : Jugement Kayishema – Ruzindana, 
  1999, §§ 183-185 ; Jugement Musema, 2000, §§ 259-262 et pour le TPIY : 
  Arrêt Tadic, 1995, § 70 ; 
  Le Procureur c/ Zejnil Delalic 
  et al., 
  IT-96-21-T, Chambre de première instance II, Jugement, 16 novembre 1998, § 
  193.  
   
   
   
  
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
  
   
   
   
   
   
   
    
  
   
    
  
  
    
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Copyright : © 2003 Roland Adjovi et Florent 
Mazeron. Tous droits réservés. Impression
        et citations : Seule la version
        au format PDF fait référence. 
Mode officiel de citation :
 
ADJOVI Roland et MAZERON Florent. - « L’essentiel de la jurisprudence du TPIR 
depuis sa création jusqu’à septembre 2002 ». - Actualité et Droit 
International, février 2003. <http://www.ridi.org/adi>.  | 
     
   
  
 
     
 
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