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 TRIBUNAL
PÉNAL INTERNATIONAL POUR L'EX-YOUGOSLAVIE 
 
2e semestre 2001 
  
Le 
Procureur c. Goran Jelisic, IT-95-10-A, Chambre d’appel, Arrêt, 5 juillet 
2001 
  
par 
Céline
Renaut 
Doctorante
à l'Université de Paris Sud XI 
  
 
 
  
  
    
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         Note
        : Les jugements et arrêts étant rarement disponibles en français, la
        décision a été prise de traduire les passages cités afin de
        faciliter la lecture de cette chronique (le texte original a été alors
        placé entre parenthèses ou en note). Les liens renvoient aux sites
        officiels.
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Accusé de 
crimes contre l’humanité, de violations graves des Conventions de Genève de 1949 
et de crime de génocide, Goran Jelisic plaide coupable des deux premiers chefs 
d’accusation. Commence alors, le 30 novembre 1998, son procès pour génocide. Les 
éléments de preuve apportés par le Procureur ne justifiant pas aux yeux de la 
Chambre de première instance I la condamnation de Goran Jelisic pour génocide, 
celle-ci, conformément à l’article 98 bis B du Règlement de preuve et de 
procédure (RPP), prononce d’office, le 14 décembre 1999, 
l’acquittement de l’accusé. Le Procureur, dont la requête aux fins d’être 
entendu par la Chambre avant qu’elle ne prononce son jugement avait été rejetée, 
a fait appel du jugement d’acquittement. Quant à Goran Jelisic, condamné à 
quarante ans d’emprisonnement pour les crimes contre l’humanité et les 
violations des lois et coutumes de la guerre dont il avait endossé la 
responsabilité, il a également fait appel du jugement rendu en première instance 
en vue d’obtenir une réduction de sa peine. 
  
La Chambre d’appel estime qu’il ne serait pas 
approprié en l’espèce de rejuger Goran Jelisic pour génocide et confirme 
l’acquittement pour ce chef d’accusation ainsi que la peine d’emprisonnement de 
quarante ans prononcés par la Chambre de première instance I. Sa décision repose 
cependant moins sur le bien-fondé du jugement de première instance que sur des 
considérations d’ordre pratique. En effet, bien qu’elle accueille la plupart des 
arguments du Procureur, elle fait usage du pouvoir discrétionnaire que lui 
confère l’article 117 (C) RPP 
pour refuser de rejuger Goran Jelisic au motif que celui-ci n’est pas à 
l’origine des erreurs de jugement de la Chambre de première instance, qu’un laps 
de temps considérable séparerait les faits reprochés à l’accusé d’un nouveau 
procès, que le Tribunal a des ressources limitées en termes de personnel et que 
la durée de vie de celui-ci est incertaine (§ 75). 
La motivation du Tribunal pour refuser un nouveau 
jugement de Goran Jelisic est fort contestable : basée sur des arguments 
principalement tirés de l’économie judiciaire et non du droit, 
elle n’est pas conforme à la gravité du crime de génocide et au droit des 
victimes et de leurs proches à la justice.  
L’arrêt apporte cependant des précisions importantes 
sur les conditions de mise en œuvre de l’article 98 bis B du RPP, sur le 
contenu et la preuve de l’élément psychologique du crime de génocide ainsi que 
sur la détermination de la peine. 
  
Le droit du Procureur à être entendu sur 
l’insuffisance des preuves qu’il présente par la Chambre de première instance 
statuant conformément à l’article 98 bis B du RPP 
  
La Chambre d’appel reconnaît au Procureur le droit 
d’être entendu sur la question de savoir si les preuves qu’il apporte sont 
insuffisantes pour justifier une condamnation. Ce droit, que la Chambre de 
première instance n’avait pas reconnu au motif qu’il n’est pas expressément 
prévu par le RPP, découle selon la Chambre d’appel de l’obligation faite aux 
juges de mener des procès équitables (v. art. 21 du Statut du TPIY). A cet 
égard, elle souligne que le fait que l’article 98 bis B donne aux 
Chambres de première instance le pouvoir de prendre une décision d’office « ne 
[les] dispense pas du devoir ordinaire d’un organe judiciaire qui consiste en 
premier lieu à entendre une partie dont les droits peuvent être affectés par la 
décision qu’elle doit prendre » 
et conclut que « le fait de ne pas entendre une partie à l’égard de laquelle la 
Cour est provisoirement hostile ne répond pas aux exigences d’un procès 
équitable ».
 
  
La 
preuve au-delà de tout doute raisonnable dans la mise en œuvre de l’article 98 bis 
B
  
La Chambre d’appel accueille également le second 
moyen du Procureur selon lequel la Chambre de première instance I a conclu à 
l’insuffisance des preuves de l’accusation en raison d’une mauvaise application 
du critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable. En l’espèce, la 
Chambre d’appel confirme que les preuves apportées dans les procédures menées 
conformément à l’article 98 bis B doivent être évaluées à l’aune du 
standard de la preuve au-delà de tout doute raisonnable. 
Cependant, une telle évaluation ne préjuge en rien du jugement final : il s’agit 
pour la Chambre de juger si les preuves apportées sont susceptibles d’établir la 
culpabilité du prévenu au-delà de tout doute raisonnable et non si elles 
prouvent effectivement sa culpabilité. 
En d’autres termes, la Chambre doit se prononcer sur le degré de pertinence des 
preuves apportées par le Procureur, conformément au critère de la preuve au-delà 
de tout doute raisonnable, et non sur la culpabilité de l’accusé, ce que la 
Chambre de première instance a fait en l’espèce (§ 38). 
  
L’élément psychologique du crime de génocide
  
Le Procureur reproche à la Chambre de première 
instance I de limiter l’élément psychologique du crime de génocide au dolus 
specialis au lieu de prendre en considération le concept, plus large, 
d’intention générale. Avant de statuer sur l’interprétation du dolus 
specialis faite par la Chambre de première instance et sur son éventuel 
caractère restrictif, la Chambre d’appel précise : 
  
-     le 
contenu de l’élément moral prévu à l’article 4 du Statut du Tribunal : il s’agit 
de la recherche de la destruction, en tout ou en partie, d’un groupe national, 
ethnique, racial ou religieux en tant que tel (§§ 45-46). Elle rappelle que 
l’élément moral est désigné par différentes expressions interchangeables, parmi 
lesquelles : « intention spéciale », « intention spécifique », « dolus 
specialis », « intention particulière » et « intention génocidaire ». 
  
-     les 
modalités de la preuve de l’intention spécifique du crime de génocide : « elle 
peut, en l’absence de preuve directe et explicite, se déduire d’un certain 
nombre de faits et de circonstances, tels que le contexte général, la 
perpétration d’autres actes coupables systématiquement dirigés contre le même 
groupe, l’importance des atrocités commises, le fait de choisir de façon 
systématique ses victimes en fonction de leur appartenance à un groupe 
particulier, ou la répétition d’actes destructeurs et discriminatoires » (§ 47). 
  
-     la 
nature des éléments constitutifs du génocide en insistant sur le fait que 
l’existence d’un plan ou d’une politique n’est pas un élément constitutif de ce 
crime de génocide mais peut en faciliter la preuve (§ 48). 
 
Ces précisions faites et la distinction entre 
intention et motifs rappelée (§ 49), la Chambre d’appel rejette le moyen soulevé 
par le Procureur au motif que la Chambre de première instance en se référant à 
la notion de dolus specialis a correctement recherché l’intention de 
l’accusé de détruire un groupe conformément à l’article 4 du Statut du TPIY 
(§ 52). 
  
La preuve de l’élément psychologique du crime de 
génocide 
  
Le Procureur soutient que la Chambre de première 
instance a commis une erreur de fait et de droit en jugeant que les preuves 
présentées ne suffisaient pas à démontrer l’existence d’un plan visant à 
détruire le groupe musulman et que les actes reprochés à Goran Jelisic 
s’inscrivaient dans ce plan et témoignaient de la volonté de ce dernier de 
détruire en tout ou en partie le groupe en question. La Chambre d’appel donne 
raison au Procureur en estimant que passent le test de pertinence prévu par 
l’article 98 bis B du RPP non seulement l’ensemble des preuves qui lui 
ont été présentées (§ 68) mais aussi les preuves sélectionnées par la Chambre de 
première instance (§ 72).  
  
Le cumul des condamnations : confirmation de 
l’arrêt rendu dans l’affaire Celebici 
  
Pour répondre à l’argument de la défense qui 
soulevait l’interdiction de cumul des condamnations, la Chambre d’appel reprend 
le raisonnement qu’elle avait suivi dans l’affaire Celebici
et celui de la Chambre de première instance II dans l’affaire Foca 
et réaffirme que le cumul de condamnations basées sur les mêmes actes au titre 
des articles 3 et 5 du Statut du TPIY est autorisé (§ 83). 
  
Durée de la peine d’emprisonnement 
  
Goran Jelisic reproche à la Chambre de première 
instance de l’avoir condamné pour un double meurtre alors que l’acte 
d’accusation ne lui en imputait qu’un. La Chambre d’appel accueille la requête 
de la défense et annule une des deux condamnations en soulignant son 
insatisfaction face à l’impossibilité de déterminer avec certitude laquelle des 
deux victimes a été tuée par GORAN Jelisic. (§ 92). La question est alors de 
savoir si le fait d’avoir condamné l’accusé pour un meurtre qu’il n’avait pas 
commis remet en cause la durée de la peine d’emprisonnement fixée en première 
instance. 
Après avoir rappelé (§ 93) qu’ « une personne 
condamnée pour plusieurs crimes doit en principe recevoir une peine plus lourde 
qu’une personne accusée d’un seul de ces crimes », 
la Chambre d’appel ajoute que la peine prononcée doit également « être le reflet 
de la gravité inhérente au comportement criminel ainsi que le prévoit l’article 
24 (2) du Statut ou que la Chambre d’appel en a disposé dans l’affaire 
Aleksovski ». 
Or, la Chambre est d’avis que le meurtre imputé à tort à l’accusé, déjà reconnu 
coupable de 12 meurtres, « n’a pas d’influence déterminante sur l’ensemble de 
son comportement criminel » (§ 94), si bien que l’annulation de la condamnation 
infondée ne s’accompagne pas d’une réduction de la peine d’emprisonnement. 
Les griefs tirés de l’absence de prise en compte par 
la Chambre de première instance du plaidoyer de culpabilité de l’accusé et de sa 
coopération substantielle ne conduiront pas plus la Chambre d’appel à réduire la 
peine d’emprisonnement de Goran Jelisic. La Chambre d’appel rappelle en effet 
que cette prise en compte est laissée à la discrétion des juges de première 
instance : « …la Chambre d’appel ne substituera pas sa sentence à celle d’une 
Chambre de première instance à moins que la Chambre de première instance n’ait 
commis une erreur manifeste dans l’exercice de son pouvoir ou n’ait fait une 
mauvaise application du droit ». 
  
  
* * * 
  
  
   
  NOTES 
  
  
     
  
     
  
     
  
     
  
     
  
     
  
     
  
     
  
     
  
     
  
     
  
     
  
     
  
    
    
   
    
  
  
    
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