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TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L'EX-YOUGOSLAVIE


1er semestre 2001

 

par

Céline Renaut

Doctorante à l'Université de Paris Sud XI

 

 

Notes : Les jugements et arrêts étant rarement disponibles en français, la décision a été prise de traduire les passages cités afin de faciliter la lecture de cette chronique (le texte original a été alors placé entre parenthèses ou en note). Les liens renvoient aux sites officiels.

 

Impression et citations : Seule la version au format PDF fait référence.

 

 

Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a rendu deux jugements en première instance (I) et trois jugements en appel (II) au cours du premier semestre 2001, apportant précisions et innovations au contentieux du droit humanitaire.

 

 

I. - ARRÊTS RENDUS EN PREMIÈRE INSTANCE

 

 

Le Procureur c. Dagoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic, IT-96-23 et IT-96-23/1, Chambre de première instance II, Jugement, 22 février 2001

 

 

Dans cette affaire, les trois accusés ont été reconnus coupables de violations des lois et coutumes de la guerre et de crimes contre l’humanité (viol, torture, réduction en esclavage et atteintes à la dignité humaine). Dagoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic ont fait appel le 6 mars 2001 du jugement et des peines, qui sont respectivement de 28, 20 et 12 ans d’emprisonnement.

 

La Chambre de première instance II précise dans cet arrêt les conditions d’application de l’article 7(3) du Statut du Tribunal tandis qu’elle soulève sans y répondre une question fondamentale quant à celles de l’article 3 du Statut en cas de violation de l’article 3 commun aux Conventions de Genève. Elle analyse ensuite les éléments constitutifs de l’attaque dirigée contre des civils, élargit la définition du viol, remet en cause la nature coutumière de la définition de la torture contenue dans la Convention contre la torture de 1984, redéfinit le crime d’atteinte à la dignité humaine, élabore la définition juridique de la réduction en esclavage puis confirme la jurisprudence antérieure relative au cumul des condamnations.

 

Précision sur les conditions d’application de l’article 7(3) du Statut du TPIY

 

La définition de la responsabilité du supérieur hiérarchique (article 7(3) du Statut) fournie par la Chambre se distingue de celle que l’on peut trouver dans les autres arrêts du TPIY en ce qu’elle insiste sur l'absence de pertinence du nombre élevé ou non des subordonnés commettant les actes imputés au commandant (§ 398) et du caractère permanent ou temporaire de l’unité militaire qui a violé le droit humanitaire (§ 399), seule l’effectivité du lien de subordination devant être prise en compte.

 

La question de la nécessité d’un lien entre l’accusé et une partie au conflit pour la mise en œuvre l’article 3 du Statut du TPIY en cas de violation de l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949

 

La Chambre énumère au paragraphe 407 de son jugement les conditions générales relatives à l’application de l’article 3 du Statut pour sanctionner des violations de l’article 3 commun et soulève sans y répondre la question de la nécessité, pour une telle application, d’un lien entre l’accusé et une partie au conflit, dont la nature, en cas de réponse affirmative, reste donc à déterminer.

 

Les conditions générales posées par la Chambre sont :

 

1) il doit s’agir d’une violation d’une norme du droit international humanitaire ;

2) cette norme doit être coutumière ou, si elle est conventionnelle, les conditions requises pour son application doivent être remplies ;

3) la violation en question doit être grave, c’est-à-dire transgresser une règle protégeant d’importantes valeurs et avoir de graves conséquences pour la victime ;

4) la violation doit entraîner en vertu du droit international coutumier ou conventionnel la responsabilité pénale individuelle de son auteur ;

5) un lien étroit doit exister entre la violation et le conflit armé ;

6) la violation doit être commise à l’encontre de personnes ne participant pas aux hostilités[1].

 

L’attaque directe contre des civils : éléments d’une condamnation

 

La Chambre affirme que le terme d’« attaque » n’a pas exactement le même sens selon qu’on l’envisage sous l’angle des lois et coutumes de la guerre ou sous celui du crime contre l’humanité dans la mesure où, dans ce dernier cas, il ne vise pas seulement la conduite des hostilités mais aussi les situations où de mauvais traitements sont infligés à des personnes ne participant pas aux hostilités (§ 416).

 

Dans le contexte du crime contre l’humanité, l’attaque dirigée contre des civils prohibée est entendue comme l’attaque dont les civils (définis négativement par rapport aux membres des forces armées et autres combattants au paragraphe 425) sont l’objectif principal (§ 421). Quant au caractère généralisé ou systématique de cette attaque, la Chambre considère qu’il s’agit d’une « notion relative »[2] et qu’elle doit par conséquent identifier, dans un premier temps, la population qui est l’objet de l’attaque et, dans un deuxième temps, déterminer s’il s’agit d’une attaque systématique ou généralisée en s’appuyant sur les moyens, les méthodes et les ressources utilisés lors de l’attaque ainsi que sur les conséquences de celle-ci[3] (§ 430).

 

La Chambre déclare que la culpabilité de l’accusé est avérée si la nature ou les conséquences de son comportement en font objectivement un élément de l’attaque et s’il avait conscience de l’existence d’une attaque dirigée contre la population civile et de la contribution qu’il y apportait (§ 418). Toutefois, elle n’exige pas que l’accusé ait eu connaissance de l’attaque dans ses détails (§ 434). Elle estime ensuite (§ 419) qu’il est « (…) suffisant de montrer que l'acte a eu lieu dans le contexte d'une accumulation d'actes de violence, qui, pris individuellement, peuvent considérablement varier en nature et en gravité »[4]. De plus, l’accusation n’est pas tenue de prouver que l’accusé a choisi les victimes en raison de leur statut de civils mais simplement qu’il savait ou avait envisagé la possibilité que ses victimes soient des civils [5] (§ 430). Toute personne devant être considérée comme civile en cas de doute sur son statut,, l’accusation doit donc apporter la preuve que l’accusé ne pouvait pas raisonnablement croire que ses victimes étaient membres des forces armées (ibid.).

 

Élargissement de la définition du viol

 

La Chambre considère que la définition du viol donnée par la Chambre de première instance II dans le jugement qu’elle a rendu dans l’affaire Furundzija (Le Procureur c. Anto Furundzija, IT-95-17/1-T, Chambre de première instance II, Jugement, 10 décembre 1998, § 185) est plus restrictive que ne l’exige le droit international dans la mesure où elle considère comme un viol l’acte sexuel de pénétration par la contrainte ou la force ou encore par la menace d’employer la force à l’encontre de la victime ou d’un tiers sans se référer « aux autres facteurs » (« other factors ») susceptibles de rendre cet acte « non consenti » (« non consensual ») ou « non volontaire » (« non-voluntary »)[6] pour la victime (§ 438). La Chambre met ainsi au cœur de la définition du viol en droit international non pas l’acte de pénétration mais l’absence de « consentement » (« consent ») ou de « volonté » (« free will »)[7] de la victime (§ 460). Elle exige en même temps que soient établis l'intention de l’accusé d’effectuer l’acte de pénétration en cause et le fait qu’il avait conscience d’agir contre la volonté de la victime (ibid.).

 

Remise en cause du caractère coutumier de la définition de la torture contenue dans la convention contre la torture de 1984

 

Contrairement aux jugements qu’elle avait rendus dans les affaires Delalic et Furundzija, dans lesquels elle avait considéré que la Convention de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants énonce la définition coutumière de la torture[8], la Chambre de première instance II considère en l’espèce que la définition qui figure à l’article 1 de cette Convention a une portée limitée et ne trouve à s’appliquer que dans le cadre de la Convention[9]. Elle en conclut que cette définition ne peut être considérée par le Tribunal que comme un élément susceptible de guider son interprétation des faits de l’espèce[10].

 

Selon la Chambre, la définition de la torture admise en matière de droits de l’homme ne recoupe pas exactement celle utilisée en droit international humanitaire (§ 496). Un élément de distinction entre ces définitions en particulier retient l’attention de la Chambre : la présence d’un représentant officiel de l’Etat dans le processus de torture n’est pas exigée par le droit humanitaire (ibid.). Ainsi, les éléments constitutifs du crime de torture en vertu du droit international coutumier seraient : « (i) l’acte ou l’omission causant de graves souffrances physiques ou mentales ; un acte ou une omission intentionnels ; (ii) un acte ou une omission dont le but est soit d’obtenir des informations ou un aveu, soit de punir, intimider ou contraindre la victime ou un tiers, (iii) soit encore d’établir une discrimination, quelle qu’en soit la raison, contre la victime ou un tiers »[11] (§ 497).

 

Atteinte à la dignité humaine

 

La Chambre marque son désaccord avec la définition de l’atteinte à la dignité humaine donnée par la Chambre de première instance I dans l’affaire Aleksovski (Le Procureur c. Zlatko Aleksovski, IT-95-14/1-T, Chambre de première instance I, Jugement, 25 Juin 1999, § 56). Elle conteste en effet que l’acte incriminé doive avoir un effet durable et affirme qu’il suffit que l’humiliation ou la dégradation infligée soit réelle et grave (§ 501) et que l’intention de l’accusé de commettre l’acte incriminé tout en ayant conscience des conséquences de son comportement soit avérée (§ 514).

 

La réduction en esclavage : une infraction enfin définie

 

Après avoir observé que le Statut ne définit pas la réduction en esclavage (§ 518), la Chambre recherche sa définition en tant que crime contre l’humanité dans le droit international coutumier en vigueur au moment des faits (§ 515). A la lumière du droit international humanitaire et des droits de l’homme, la Chambre conclut que la réduction en esclavage consiste en « l’exercice d’un ou de tous les pouvoirs attachés au droit de propriété sur une personne »[12] (§ 539). Parmi ces pouvoirs, on peut compter le contrôle de la liberté de mouvement, le contrôle psychologique et le contrôle de la sexualité d’un individu ou encore le travail forcé, les mesures prises pour empêcher les évasions, etc. (v. § 543). A cet élément matériel s’ajoute un élément psychologique pour constituer l’infraction : l’utilisation intentionnelle de ces pouvoirs (§ 540).

 

Le cumul des condamnations

 

La Chambre reprend (§ 574) à son compte la solution apportée par la Chambre d’appel à la question du cumul des condamnations dans l’arrêt Delalic (Le Procureur c. Zejnil Delalic et al., IT-96-21-A, Chambre d’appel, Arrêt, 20 Février 2001). Ce faisant, elle affirme la portée générale de la règle énoncée par la Chambre d’appel. En effet, tandis que la Chambre d’appel affirmait que le cumul des condamnations n’est possible que dans certaines circonstances dans une affaire entrant dans le champ d’application des articles 2 et 3 du Statut du TPIY, la Chambre réitère en l’espèce cette affirmation pour des violations des articles 3 et 5 du Statut (§ 552).

 

Ayant constaté que les articles 3 et 5 exigent chacun un élément matériel pour prouver l’infraction qui leur est propre (§ 556), la Chambre conclut, conformément à la règle posée par la Chambre d’appel, que le cumul des condamnations sur la base de ces deux articles est possible (ibid.). 

 

 

Le Procureur c. Dario Kordic and Mario Cerkez, IT-95-14/2-T, Chambre de première instance III, Jugement, 26 février 2001

 

 

Dario Kordic et Mario Cerkez sont reconnus coupables de crimes contre l'humanité, d’infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 et de violations des lois et coutumes de la guerre et condamnés respectivement à 25 et 15 ans d’emprisonnement. Les accusés, ainsi que le Procureur qui avait requis à leur encontre l’emprisonnement à perpétuité, ont fait appel du jugement et de la peine. 

 

Dans ce jugement, la Chambre confirme la jurisprudence antérieure relative à l’existence d’un conflit armé. Elle précise ensuite les notions juridiques de persécution, d’acte infligeant intentionnellement de grandes souffrances physiques ou morales, d’emprisonnement, de prise d’otages, de destructions non justifiées par les exigences militaires. Enfin, elle trace la frontière entre les articles 7(1) et 7(3) du Statut du TPIY et admet un nouveau moyen de défense : l’autodéfense.

 

Existence d’un conflit armé

 

Afin de déterminer si l’article 2 du Statut est applicable à l’espèce, la Chambre reprend le raisonnement suivi par la Chambre d’appel dans les affaires Tadic (Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-A, Chambre d’appel, Arrêt, 15 Juillet 1999), Aleksovski (Le Procureur c. Zlatko Aleksovski, IT-95-14/1-A, Chambre d’appel, Arrêt, 24 Mars 2000) et Delalic (Le Procureur c. Zejnil Delalic et al., IT-96-21-A, Chambre d’appel, Arrêt, 20 Février 2001) pour établir l’existence d’un conflit armé (§ 160).

 
Persécution

 

L’acte d’accusation de Dario Kordic est le premier depuis la création du Tribunal qui présente la persécution au travail comme un crime contre l’humanité. A cet égard, la Chambre estime que le crime de persécution peut être constitué de comportements qui ne figurent pas expressément dans la liste des crimes contre l’humanité de l’article 5 du Statut du TPIY. Toutefois, elle considère que le comportement incriminé dans l’acte d’accusation n’est pas une persécution constitutive de crime contre l’humanité aux motifs qu’il n’est mentionné à aucun article du Statut, qu’il n’est pas aussi grave que les autres actes énumérés à l'article 5 du Statut et enfin que le droit international coutumier n’interdit pas un tel comportement (§ 209). Dans ces conditions, une condamnation sur cette base serait apparue comme une violation du principe de légalité (ibid.).

 

Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé : un crime distinct du  traitement inhumain

 

La Chambre définit le crime prohibé par l’article 2(c) du Statut du TPIY comme « un acte ou une omission intentionnelle causant de graves souffrances ou blessures, physiques ou mentales, dont le degré de gravité peut être prouvé »[13]. L’intérêt de cette définition est qu’elle permet de distinguer ce crime du traitement inhumain, en ce qu'il exige la preuve d’une blessure physique ou mentale grave.

 

Emprisonnement

 

Après avoir constaté qu’aucun des deux tribunaux pénaux internationaux n’a statué sur le crime d’emprisonnement (§ 296), la Chambre définit l'emprisonnement en tant que crime contre l’humanité prévu à l’article 5(e) du Statut du TPIY comme l’emprisonnement arbitraire, c’est-à-dire la privation de liberté intervenant sans jugement dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre la population civile (§ 302). Elle précise que l’emprisonnement de civils est illicite lorsque ceux-ci ont été incarcérés en violation de l’article 42 de la quatrième Convention de Genève de 1949, que les protections procédurales requises par l’article 43 de ladite Convention ne sont pas assurées et que l’emprisonnement fait partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile (§ 303).

 

Prise d’otages

 

La Chambre déclare que l’article 2(h) du Statut du TPIY est violé lorsqu’un individu menace de soumettre des civils illicitement détenus à des traitements inhumains ou de les tuer afin de parvenir à ses fins (§ 314). Elle affirme en outre que dans le cadre d’un conflit armé international les éléments de ce crime en vertu de l’article 3 du Statut sont essentiellement les mêmes que ceux énoncés à l’article 2(h) (§ 320).

 

Destructions non justifiées par les exigences militaires

 

La Chambre considère que les trois éléments constitutifs de l’acte prohibé par l’article 3(b) du Statut du TPIY sont : la destruction sur une grande échelle de biens privés, l’absence d’exigences militaires justifiant une telle destruction et la volonté de l’accusé de détruire les biens en question ou sa négligence dans la prise en compte de la probabilité de cette destruction (§ 346). De plus, elle estime que les biens privés situés sur le territoire ennemi, bien que non protégés par les Conventions de Genève de 1949, sont couverts par l’article 3 du Statut (§ 347).

 

Délimitation du champ d’application des articles 7(1) et 7(3) du Statut du TPIY

 

Sur le point de savoir lequel des articles 7(1) et 7(3) il convient de mettre en œuvre lorsqu’ils sont concurremment applicables, la Chambre se réfère à la solution précédemment adoptée par la Chambre de première instance I (v. Le Procureur c. Radovan Karadzic and Ratko Mladic, IT-95-5, Chambre de première instance I, Review of the Indictments Pursuant to Rule 61 of the Rules of Procedure and Evidence, 11 July 1996, § 83). Ainsi conclut-elle que dans l’hypothèse où un individu peut être tenu pour responsable d’un crime à la fois à titre personnel et en tant que supérieur hiérarchique, il convient d’appliquer l’article 7(1) du Statut (§ 371).

 

Contrairement aux jugements rendus dans les affaires Blaskic et Akayesu (Le Procureur c. Tihomir Blaskic, IT-95-14-T, Chambre de première instance I, Jugement, 3 Mars 2000 et Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, ICTR-96-4-T, Chambre de première instance I, Jugement, 9 Janvier 1997), la Chambre de première instance III a considéré que la relation de subordination est avérée dès lors que l’accusé possède le pouvoir d’ordonner, que ce pouvoir soit de jure ou de facto (§ 388).

 

Ainsi, seuls les supérieurs, qu'ils le soient de jure ou de facto, militaires ou civils, dont la responsabilité à titre personnel n’est pas en cause, qui font directement ou indirectement partie d’une relation de subordination et qui ont le pouvoir effectif de contrôler ou de punir les actes de leurs subordonnés peuvent voir leur responsabilité pénale engagée au titre de l’article 7(3) (§ 416).

 

L’autodéfense : un nouveau motif d’exonération de responsabilité

 

Selon la Chambre, la notion d’autodéfense est un motif d’exonération de responsabilité pour une personne ayant agi pour se protéger ou défendre son bien, ou protéger un tiers ou le bien de celui-ci, contre une attaque à condition que son comportement constitue une réaction raisonnable, nécessaire et proportionnelle à cette attaque (§ 449). Le Statut n’ayant pas prévu l’autodéfense comme motif d’exonération de la responsabilité pénale, la Chambre justifie sa position en se référant à l’article 31(1)(c) du Statut de la Cour pénale internationale qui peut être considéré comme une norme de droit international coutumier  dans la mesure où il énonce une règle commune à la plupart des droits nationaux (§ 451).

 

 

II. - ARRÊTS RENDUS EN APPEL

 

 

Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-A-AR77, Chambre d’appel, Arrêt confirmatif relatif aux allégations d’outrage formulées à l’encontre du précédent Conseil, Milan Vujin, 27 février 2001

 

 

Maître Milan Vujin a été condamné en première instance (Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-AR77, Chambre d’appel, Arrêt relatif aux allégations d’outrage formulées à l’encontre du précédent Conseil, Milan Vujin, 31 Janvier 2000) pour avoir présenté à la Chambre d’appel qui jugeait Dusko Tadic des preuves qu’il savait fausses, un tel comportement étant constitutif d’outrage au Tribunal en vertu de l'article 77 du Règlement de Procédure et de Preuve (le "Règlement"). Le présent arrêt, qui confirme celui de première instance, apporte des renseignements précieux sur la compétence du TPIY en matière d’outrage et sur la procédure applicable en la matière.

 

Affirmation de la compétence du TPIY pour connaître des outrages au Tribunal

 

Bien que l’article 77 du Règlement ne prévoie pas expressément de poursuites pour outrage au Tribunal, la Chambre d’appel affirme cependant sa compétence en la matière. En effet, l’interprétation de l’article 15 du Statut du Tribunal (et en particulier de l’expression « autres questions appropriées »[14]) lui permet d’inclure l’adoption des règles relatives au jugement et à la répression de l’outrage au tribunal au nombre de ses compétences et d’organiser une procédure d’appel pour toute personne reconnue coupable d’un tel outrage. Le même raisonnement conduit à reconnaître aux juges le pouvoir de sanctionner l’avocat reconnu coupable d’une telle infraction en le rayant temporairement ou définitivement de la liste des avocats du Tribunal.

 

Procédure des jugements pour outrage au Tribunal

 

La procédure du jugement pour outrage au Tribunal a ceci de particulier qu’elle se déroule en première instance devant la Chambre d’appel. Aussi la possibilité de faire appel de ce jugement n’était-elle pas a priori évidente. Cependant, eu égard à l’article 14 (5) du Pacte international sur les droits civils et politiques (auquel la Chambre attribue, sans le démontrer, un caractère impératif) relatif aux droits de l’accusé et au caractère pénal de l’article 77 du Règlement, la Chambre d’appel a logiquement conclu au droit de l’accusé de faire appel de sa condamnation pour outrage au Tribunal.

 

 

Le Procureur c. Zlatko Aleksovski, IT-95-14/1, Chambre d’appel, Appel de Anto Nobilo de la décision portant condamnation pour outrage, 30 mai 2001

 

 

Le 11 décembre 1998, la Chambre de première instance I condamne pour outrage au Tribunal Maître Anto Nobilo qui, au cours d’un contre-interrogatoire intervenant dans le cadre de l’affaire Le Procureur contre Tihomir Blaskic, a révélé l’identité et la profession d’un témoin qui bénéficiait pourtant de mesures de protection depuis sa comparution dans l'affaire Zlatko Aleksovski.

 

Maître Nobilo fait appel de la condamnation pécuniaire prononcée à son encontre au motif qu’il n’aurait pas violé « en connaissance de cause » la décision du Tribunal, ainsi que l’exige l’article 77(A)(iii) – devenu article 77(A)(ii) – du Règlement. La Chambre d’appel est ainsi saisie de l’opportunité de rappeler l’importance de l’article 77 du Règlement dans le bon fonctionnement du Tribunal et de déterminer les éléments constitutifs d’un outrage au Tribunal.

 

L’article 77 du Règlement de Procédure et de Preuve : règle de procédure essentielle au bon fonctionnement du Tribunal

 

La Chambre d’appel rappelle que l’article 77 du Règlement a pour but de punir tout agissement tendant à empêcher ou gêner une bonne administration de la justice (v. Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-A-AR77, Chambre d’appel, Arrêt confirmatif relatif aux allégations d’outrage formulées à l’encontre du précédent Conseil, Milan Vujin, 27 février 2001, § 18). Elle met ainsi en exergue le rôle capital de cette règle qui n’est pas de réprimer des insultes faites aux magistrats mais de permettre au Tribunal d’exercer sa juridiction dans les meilleures conditions (§ 36). Elle réaffirme également, conformément à l’arrêt de la Chambre d’appel rendu dans l’affaire Vujin (§ 4), que le pouvoir de juger et punir les outrages au Tribunal est inhérent à toute juridiction et que le fait qu’il ne soit pas mentionné dans le Statut du TPIY n’empêche donc pas celui-ci d’en faire usage (§§ 30-35).

 

Les éléments constitutifs de l’outrage au Tribunal

 

L’outrage au Tribunal est constitué dans deux cas : soit l’accusé a violé en connaissance de cause l’ordonnance du Tribunal (§ 47) soit l’accusé s’est délibérément abstenu de prendre connaissance de l’ordonnance du Tribunal violée afin d’échapper au premier cas d’incrimination. Dans ces deux hypothèses, la charge de la preuve pèse sur l’accusation.

 

Cette deuxième hypothèse a fait l’objet de précisions de la part de la Chambre d’appel. En effet, celle-ci distingue tout d’abord la « négligence » de l’ « abstention délibérée » (« deliberate ignorance » ou « wilful blindness » dans la terminologie des pays de common law dont est issue la notion d’outrage au Tribunal), afin de ne retenir que la seconde comme violation de l’article 77 du Règlement (§ 45). Elle précise ensuite que la preuve de cette abstention délibérée implique que l’accusation démontre que l’accusé a suspecté ou eu conscience de l’existence de l’ordonnance du Tribunal violée (§ 51). A cet égard, la Chambre de première instance, dans l’hypothèse où elle condamne l’accusé, est tenue d’indiquer expressément dans son jugement les raisons qui ont dicté sa décision (§ 52). La Chambre d’appel indique enfin qu’il n’est pas nécessaire que l’accusation établisse l’intention de l’accusé de violer ou d’ignorer l’ordonnance du Tribunal : il suffit qu’il soit prouvé que le comportement de celui-ci était délibéré (§ 54).

 

La Chambre d’appel estimant que la preuve de la violation « en connaissance de cause »[15] de l’ordonnance du Tribunal ou de l’abstention délibérée de rechercher l’existence de cette ordonnance de la part de Maître Nobilo n’a pas été apportée, celui-ci obtient gain de cause. 

 

 

Le Procureur c. Zejnil Delalic et consorts, IT-96-21, Chambre d’appel, Arrêt, 20 février 2001

 

 

Parmi les accusés de l’affaire Celebici, seul Zejnil Delalic échappe en première instance (16 novembre 1998) à la condamnation pour infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 et violations des lois et coutumes de la guerre. Sa relaxe, contestée par le Procureur, est confirmée par la Chambre d’appel. Celle-ci, sollicitée pour la première fois sur la question du cumul des condamnations, annule les sentences de Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo relatives aux violations des lois et coutumes de la guerre et les renvoie devant une Chambre de première instance aux fins de réajustement de leur peine. Outre cette question du cumul des condamnations, cet arrêt aborde de nombreux points de droit essentiels tels que les conditions d’application de l’article 2 du Statut du Tribunal, le lien entre l’article 3 du Statut et l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949, le caractère universel et coutumier de celles-ci, la responsabilité du supérieur hiérarchique et la détention des civils.

 

Premier arrêt en appel statuant sur la question du cumul des condamnations

 

Les accusés contestant leurs condamnations en vertu des articles 2 et 3 du Statut du TPIY pour des faits identiques, la Chambre d’appel est amenée à se prononcer expressément pour la première fois sur la question du cumul des condamnations. A cet égard, elle considère que « la nécessité d’être équitable envers l’accusé et le fait que seuls des crimes distincts peuvent justifier un cumul de condamnations amènent à conclure que les multiples cumuls de condamnations prévus par différentes dispositions du Statut mais reposant sur le même comportement ne sont autorisés que si chaque disposition concernée contient un élément matériellement distinct qui ne figure pas dans les autres dispositions »[16] (§ 412).

 

La majorité de la Chambre définit l’« élément matériellement distinct »[17] permettant le cumul des condamnations comme un élément matériel exigeant une preuve de fait non requise par les autres dispositions applicables (§ 412). Si une telle exigence n’est pas vérifiée, alors il convient de ne pas autoriser le cumul et de prendre pour base du jugement la disposition la plus spécifique (§ 413). En l’espèce, la Chambre d’appel, après avoir relevé que l’article 2 du Statut est plus précis (« more specific ») que l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 (§ 420), écarte les condamnations prononcées en première instance en vertu de l’article 3 et renvoie les accusés devant une nouvelle Chambre de première instance chargée de fixer les nouvelles peines (§ 431).

 

Confirmation de la jurisprudence relative à l’application de l’article 2 du Statut du TPIY

 

La Chambre d’appel confirme qu’il incombe à l’accusation de prouver l’existence d’un conflit armé international pour justifier l’application de l’article 2 du Statut (v. Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-A, Chambre d’appel, Arrêt, 15 Juillet 1999 et Le Procureur c. Zlatko Aleksovski, IT-95-14/1-A, Chambre d’appel, Arrêt, 24 Mars 2000). De même, elle réaffirme que l’accusation doit établir que la partie étrangère au conflit exerce un « contrôle global » (« overall control ») sur les forces locales (voir Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-A, Chambre d’appel, Arrêt, 15 Juillet 1999, § 156 et Le Procureur c. Zlatko Aleksovski, IT-95-14/1-A, Chambre d’appel, Arrêt, 24 Mars 2000, § 145).

 

La Chambre d’appel renforce également sa jurisprudence antérieure en rappelant (§ 84) que la nationalité des victimes aux fins d’application de la quatrième Convention de Genève de 1949 ne doit pas être déterminée sur la base de critères formels mais en fonction de l’origine ethnique des victimes et des criminels et de leurs liens éventuels avec un Etat étranger partie au conflit (voir Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-A, Chambre d’appel, Arrêt, 15 Juillet 1999, §§ 163-171 et Le Procureur c. Zlatko Aleksovski, IT-95-14/1-A, Chambre d’appel, Arrêt, 24 Mars 2000, § 151.)

 

Réaffirmation du lien entre l’article 3 commun aux Conventions de Genève et l’article 3 du Statut du TPIY

 

La Chambre d’appel réaffirme (v. The Prosecutor v. Dusko Tadic, IT-94-1-AR72, Appeals Chamber, Decision on the Defence Motion for Interlocutory Appeal on Jurisdiction, 2 October 1995) que les violations des lois et coutumes de la guerre interdites par l’article 3 du Statut couvrent celles prohibées par l’article 3 des Conventions de Genève, que ces violations déclenchent la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs et que ceux-ci peuvent être poursuivis tant dans le cadre de conflits armés internationaux que dans celui de conflits internes (§ 150).

 

Caractère universel et coutumier des Conventions de Genève de 1949

 

A l’argument de Hazim Delic qui prétend que la Bosnie-Herzégovine n’était pas partie aux Conventions de Genève de 1949 au moment des faits qui lui sont reprochés, la Chambre d’appel oppose le caractère automatique de la succession des Etats aux traités humanitaires universels : « [o]n peut désormais considérer en droit international qu’il y a une succession automatique des Etats aux traités humanitaires multilatéraux au sens large, c’est-à-dire aux traités à caractère universel qui proclament des droits de l’homme fondamentaux »[18] (§ 111), traités auxquels elle associe les Conventions de Genève compte tenu de leur universalité (§ 112). Dans le paragraphe suivant, la Chambre rappelle en tout état de cause leur caractère coutumier, comme l'avait par ailleurs affirmé le Secrétaire général des Nations Unies dans son Rapport en vue de l'établissement du Tribunal (Rapport du Secrétaire général en application du paragraphe 2 de la Résolution 808 (1993) du Conseil de sécurité, S/25704, 3 mai 1993, page 9, § 34).

 

Responsabilité du supérieur hiérarchique

 

Contrairement aux allégations de Zdravko Mucic, la Chambre d’appel affirme qu’il importe peu que la personne qui donne des ordres soit le commandant de jure ou de facto et qu’il suffit que celle-ci exerce un contrôle effectif sur les personnes commettant les crimes, ou, en d’autres termes, qu’elle ait eu le pouvoir d’empêcher ces infractions au droit humanitaire, pour que soit établie la relation de subordination qui les unit. Ce critère du « contrôle effectif »[19] exclut l’argumentation de l’accusation qui affirmait que la capacité de l’accusé à exercer une influence sur les personnes commettant les crimes était de nature à prouver l’existence de cette relation de subordination. C’est en vertu de ce critère que Zejnil Delalic a été acquitté.

 

Ainsi, le supérieur, qu'il le soit de jure ou de facto, n’est pénalement responsable en vertu de l’article 7(3) du Statut que s’il avait accès à des informations susceptibles d’attirer son attention sur les violations commises par ses subordonnés (§ 241). La Chambre d’appel rejoint ici l’interprétation qui avait été donnée en première instance de l’article 7(3) du Statut.

 

La détention de civils

 

En accord avec la Chambre de première instance, la Chambre d’appel dénonce comme illicite l’emprisonnement de civils qui intervient en violation des articles 42 et 43 de la quatrième Convention de Genève de 1949. Elle rappelle également que toute personne ayant l’autorité nécessaire pour libérer les prisonniers illégalement détenus peut être condamnée en vertu de l’article 7(1) du Statut sans qu’il soit besoin de prouver sa position de supérieur hiérarchique (§ 360).

 

 

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Impression et citations : seule la version au format PDF fait référence.

 

Céline Renaut

Août 2001

 

 


NOTES


[1] « (i) The violation must constitute an infringement of a rule of international humanitarian law.

(ii) The rule must be customary in nature or, if it belongs to treaty law, the required conditions must be met.

(iii) The violation must be 'serious', that is to say, it must constitute a breach of a rule protecting important values, and the breach must involve grave consequences for the victim.

(iv) The violation of the rule must entail, under customary or conventional law, the individual criminal responsibility of the person breaching the rule.

(v) There must be a close nexus between the violations and the armed conflict.

(vi) The violations must be committed against persons taking no active part in the hostilities ».

(§ 407). Traduction de l'auteur.

[2] « relative notion ». Traduit par l’auteur.

[3] « (…) first identify the population which is the object of the attack and, in light of the means, methods, resources and result of the attack upon this population, ascertain whether the attack was indeed widespread or systematic » (§ 430).

[4] « (…) sufficient to show that the act took place in the context of an accumulation of acts of violence which, individually, may vary greatly in nature and gravity » (§ 430). Traduction de l'auteur.

[5] « as a minimum, the perpetrator must have known or considered the possibility that the victim of his crime was a civilian » (§ 430).

[6] Traductions de l’auteur.

[7] Traductions de l'auteur.

[8] V. Le Procureur c. Zejnil Delalic et al., IT-96-21-T, Chambre de première instance II, Jugement, 16 Novembre 1998, § 459 ; Le Procureur c. Anto Furundzija, IT-95-17/1-T, Chambre de première instance II, Jugement, 10 Décembre 1998, § 160 et Le Procureur c. Anto Furundzija, IT-95-17/1-T, Chambre d’appel, Arrêt, 21 juillet 2000, § 111.

[9] V. § 473 : « (…) Article 1 of the Torture Convention makes it abundantly clear that its definition of torture is limited in scope and was meant to apply only for the purposes of this Convention ».

[10] V. § 482 : « the definition of torture contained in Article 1 of the Torture Convention can only serve, for present purposes, as an interpretational aid ».

[11] « (i) infliction, by act or omission, of severe pain or suffering, whether physical or mental; (ii) intentional acts or omissions; (iii) acts or omissions whose aim is to obtain information or a confession, or to punish, intimidate or coerce the victim or a third person, or to discriminate, on any ground, against the victim or third person » (§ 497). Traduction de l'auteur.

[12] « the exercise of any or all of the powers attaching to the right of ownership over a person » (§ 539). Traduction de l'auteur.

[13] « (…) an intentional act or omission which causes serious mental or physical suffering or injury, provided the requisite level of suffering or injury can be proven » (§ 245). Traduction de l'auteur.

[14] En anglais : « other appropriate matters ».

[15] « actual knowledge » (§ 54). Traduction de l'auteur.

[16] « reasons of fairness to the accused and the consideration that only distinct crimes may justify cumulative convictions, led to the conclusion that multiple cumulative convictions entered under different statutory provisions but based on the same conduct are permissible only if each statutory provision involved has a materially distinct element not contained in the other » (§ 412). Traduction de l'auteur.

[17] « materially distinct element » (§ 412). Traduction de l'auteur.

[18] « It may be now considered in international law that there is automatic State succession to multilateral humanitarian treaties in the broad sense, i.e., treaties of universal character which express fundamental human rights » (§ 111). Traduction de l’auteur.

[19] « effective control ». Traduction de l'auteur.  

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