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TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L'EX-YOUGOSLAVIE


Jugement rendu par la Chambre de première instance

La Haye, 2 août 2001

 

dans l'affaire Le Procureur c/ Radislav Krstic


 

Note

 

Nous aurions pu vous présenter ici un commentaire de cette première décision de condamnation pour Génocide par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). Nous aurions pu alors nous féliciter de cette première qualification de génocide pour des crimes commis en Bosnie. Mais nous n'y aurions vu que la reconnaissance de nouveaux actes de génocide commis lors du siècle passé. Pas de quoi être fier.

 

Nous aurions pu évoquer la condamnation à 46 années d'emprisonnement d'un génocidaire agé de 53 ans et essayer de comprendre pourquoi la perpétuité - pourtant requise par le Procureur - n'a pas été prononcée. Nous préférons attendre pour cela les jugements de Ratko Mladic et de Radovan Karadzic. Et puis, peut-être suffit-il de demander au condamné lui-même quelle différence il fait concrètement entre les deux peines...

 

Nous préférons retranscrire des extraits du texte - repris dans le communiqué de presse O.F./S.I.P./609f du 2 août 2001 - qui a servi d'appui au résumé présenté lors de l'audience par le Président de la Chambre I, le Juge Almiro Rodrigues. Certaines choses ne pourraient en effet être mieux exprimées.

 

Texte du jugement (en anglais).

 

 

(Extraits du communiqué de presse O.F./S.I.P./609f du 2 août 2001)

 

 

Introduction

 

« Que justice soit faite ou le monde périra », disait Hegel. La Chambre accomplit son devoir de faire justice et, de cette façon, souhaite contribuer à un monde meilleur !… La Chambre rend aujourd’hui son jugement dans l’affaire intentée par le Procureur contre le Général Krstic pour génocide ou complicité de génocide, persécutions, extermination, assassinats, ainsi que transfert forcé ou expulsion, pour des faits commis entre juillet et novembre 1995, à la suite de l’attaque menée par les forces serbes sur la ville de Srebrenica. Le Général Krstic était, au moment du lancement de l’attaque, Commandant-adjoint du Corps de la Drina, l’un des Corps constituant l’armée de la Republika Srpska (on dit souvent, la VRS). (...).

 

(...)

 

Général Krstic, les crimes qui vous sont reprochés, sont fondés sur les événements qui ont suivi l’attaque des forces serbes sur la ville de Srebrenica, en juillet 1995. Srebrenica - un nom de ville que chacun associe au conflit qui a ravagé l’ex-Yougoslavie. Un nom qui évoque immédiatement des milliers de personnes assiégées, affamées, privées de tout, même d’eau ou de temps pour respirer... Le nom d’une enclave que les Nations Unies déclarent zone protégée et qui tombe quasiment sans combat.

 

Srebrenica, c’est aussi des images comme on ne veut pas en voir : des femmes, des enfants, des vieillards que l’on fait monter dans des autobus pour une destination inconnue ; des hommes séparés de leur famille, dépouillés de leur bien ; des hommes qui fuient ; des hommes qui sont faits prisonniers ; des hommes que l’on ne reverra jamais ; des hommes que l’on retrouvera, parfois, mais pas toujours, morts, cadavres entassés dans des fosses communes ; cadavres aux mains liées ou cadavres aux yeux bandés, souvent ; cadavres démembrés, aussi ; cadavres sans identité… cadavres…

 

Srebrenica est, encore, un nom de syndrome post-traumatique, celui que subissent les femmes, les enfants et les vieillards, qui ne sont pas morts et qui sont, depuis juillet 1995, depuis six ans, sans nouvelles de leur mari, de leurs fils, de leur père, de leur frère, de leur oncle, de leur grand-père. Des milliers de vies amputées, depuis six ans, de l’amour et de l’affection de leurs proches, ces fantômes qui viennent les hanter, jour après jour, nuit après nuit.

 

Dans l’ensemble, la Chambre a reçu beaucoup d’éléments de preuve que l’on pourrait qualifier d’impressionnants. A cause de la violence des faits, à cause des images presque insoutenables qui lui ont été soumises, à cause de la douleur exprimée par les témoins victimes, la Chambre se devait de faire preuve d’une vigilance particulière pour prendre le recul nécessaire à l’accomplissement d’une œuvre de justice sereine et la plus objective possible. (...).

 

La Chambre répond essentiellement à trois questions : quels sont les faits ? Quels crimes peut-on retenir ? Peut-on retenir le Général Krstic coupable de l’un ou l’autre de ces crimes ? C’est un résumé des conclusions auxquelles la Chambre a abouti sur ces trois questions que je vais présenter maintenant.

 

I - Quels sont les faits ? 

 

Le transfert des femmes, des enfants et des vieillards

 

(...)

 

Au soir du 13 juillet, toutes les femmes, tous les enfants, tous les vieillards ont été transférés. La Chambre conclut que, pour des raisons juridiques qu’elle explique dans son jugement, il n’y a pas eu déportation. Mais il y a bien eu transfert forcé des femmes, des enfants et des vieillards de Srebrenica.

 

Les hommes, quant à eux, sont systématiquement séparés. Ils doivent laisser leurs maigres effets, même leurs documents d’identité. Ils sont conduits dans une maison blanche, à quelques mètres de la base des Nations Unies. Ils sont frappés. Certains sont conduits derrière la maison et tués. Les survivants sont conduits en différents lieux de détention le 13 juillet, notamment à Bratunac. Pour ceux qui avaient réussi à monter dans les bus, ils ont été interpellés juste avant de sortir du territoire sous le contrôle de la VRS et conduits vers d’autres lieux de détention (bus, école, hangar…).

 

(...)

 

Au total, ce sont 7 à 8.000 hommes qui sont capturés et presque tous tués par les forces serbes. Seuls quelques-uns ont survécu, dont certains sont venus témoigner devant la Chambre et qui ont décrit l’horreur des exécutions de masse dont ils n’ont réchappé que par miracle.

 

Les exécutions de masse ont commencé dès le 13 juillet.

 

(...)

 

Au total, les experts estiment de sept à huit mille le nombre d’hommes musulmans de Bosnie exécutés entre le 13 et le 19 juillet 1995.

 

(...)

 

II - Quels sont les crimes commis qui ont été retenus par la Chambre ?

 

(...)

 

(...). A l’évidence, la question principale qui se posait était :

 

Y a-t-il eu un génocide au préjudice de, selon les termes du Procureur, « une partie de la population musulmane de Bosnie en tant que groupe national, ethnique, ou religieux »  ?

 

La notion même de génocide est une notion récente, apparue pour la première fois à l’occasion de la seconde guerre mondiale, et codifiée en décembre 1948 dans la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide. Cette Convention est entrée en vigueur le 12 janvier 1951. L’article 4 du Statut du tribunal, intitulé « Génocide », reprend mot pour mot la définition de la Convention : (je cite) « le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Parmi les actes génocidaires, il y a le meurtre de membres du groupe et les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe.

 

La jurisprudence en matière de génocide est peu abondante. Et alors que le Tribunal pénal international pour le Rwanda a rendu plusieurs décisions sur ce point, la jurisprudence de notre Tribunal est quasiment inexistante.

 

Dans cette affaire, il n’est pas contestable que des atteintes graves et des meurtres ont été commis au préjudice de Musulmans de Bosnie. La Chambre considère qu’il n’est pas contestable non plus que les victimes ont été choisies en raison de leur appartenance nationale, c’est-à-dire précisément en raison de ce qu’elles faisaient partie des Musulmans de Bosnie. Mais peut-on, pour autant, dire qu’il y a eu volonté, intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe protégé par la Convention, en tant que tel ?

 

La défense a répondu que non et s’en est très complètement et très clairement expliquée dans ses écritures comme dans sa plaidoirie finale. Je ne donnerai ici qu’un très court, et donc incomplet, résumé de ses arguments. La défense ne conteste pas que les forces serbes s’en soient pris à la population des Musulmans de Bosnie de Srebrenica en âge de combattre. Mais la défense souligne que, précisément pour cette raison, on ne peut pas parler de génocide, quelle que soit l’ampleur des meurtres commis. (...).

 

La Chambre ne partage pas ce point de vue.

 

(...)

 

Ce que nous affirmons, sur la base de l’ensemble des preuves qui nous ont été présentées, c’est qu’une décision a d’abord été prise de procéder au « nettoyage ethnique » de l’enclave de Srebrenica. Par ailleurs, il n’est pas déraisonnable de constater que les hommes pouvaient être séparés des femmes, des enfants et des vieillards. En effet, les hommes faits prisonniers pouvaient ultérieurement servir de « monnaie d’échange », comme cela fut souvent le cas tout au long du conflit en ex-Yougoslavie. Ce qui importait, à ce moment-là, c’était de chasser tous les Musulmans de Bosnie de l’enclave, y inclus les femmes, les enfants et les vieillards.

 

Toutefois, pour des raisons que la Chambre n’a pu éclaircir, la décision a ensuite été prise de tuer tous les hommes en âge de combattre. Le résultat était inévitable : la destruction de la population des Musulmans de Bosnie à Srebrenica. Il ne s’agit en effet pas seulement de procéder à des meurtres pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, déjà constitutifs d’un crime de persécution. Il ne s’agit pas seulement non plus de la seule extermination des hommes musulmans de Bosnie en âge de combattre. Il s’agit de la décision délibérée de tuer ces hommes, prise en toute connaissance de cause de l’impact que ces meurtres auront inévitablement sur le groupe dans son ensemble. En décidant de tuer tous les hommes de Srebrenica en âge de combattre, on décidait de rendre impossible la survie de la population des Musulmans de Bosnie à Srebrenica.

 

En d’autres termes, on est passé du nettoyage ethnique au génocide.

 

La Chambre est ainsi convaincue au-delà de tout doute raisonnable qu’un crime de génocide a été commis à Srebrenica.

 

(...)

 

III - Le Général Krstic est-il coupable de l’un ou l’autre de ces crimes ?

 

(...)

 

Pour le Procureur, le Général Krstic était Commandant –adjoint du Corps de la Drina au moment où l’attaque sur Srebrenica a été lancée. En cette qualité, il a participé à l’organisation des troupes qui ont pris part à l’attaque. Le Général Krstic a pris le Commandement du Corps au plus tard le 13 juillet 1995 au soir. Il est en conséquence responsable, dit le Procureur, pour l’ensemble des crimes commis sur le territoire du Corps de la Drina, au titre de l’article 7 1) du Statut, c’est-à-dire, qu’il est individuellement responsable. Mais le Procureur avance que le Général Krstic est également responsable en tant que supérieur hiérarchique en vertu de l’article 7 3) du Statut.

 

La défense a souligné que le Général Krstic était un officier professionnel, formé dans la JNA, très au fait des règles applicables en matière de conflit armé. La défense n’a jamais contesté : ni la présence du Général Krstic aux côtés du Général Mladic lors de la chute de la ville de Srebrenica, ni sa présence lors de deux des trois réunions à l’Hôtel Fontana, ni le fait que le Général Krstic a été successivement Commandant-adjoint, puis Commandant, du Corps de la Drina, Corps dont la compétence géographique couvre la totalité du territoire sur lequel se sont déroulés les crimes.

 

(...)

 

La Chambre a soigneusement évalué tous ces arguments. La Chambre a examiné scrupuleusement l’ensemble des pièces du dossier et les témoignages, que ce soient ceux de personnels des Nations Unies ou de victimes. La Chambre a pesé méticuleusement les éléments d’information fournis par les écoutes radio. A cet égard, je rappelle que la Chambre n’a pas admis l’enregistrement dans lequel on entendait une voix, qui aurait été celle du K., disant : tuez les tous ! J’insiste sur ce point car il a pu apparaître que cette pièce faisait partie du dossier : cette écoute radio n’est pas admise et n’est pas une pièce à conviction dans le dossier. Mais la Chambre a admis de nombreux autres enregistrements, dont certains sont analysés plus en détail dans le jugement. La Chambre a, enfin, analysé les rapports des experts militaires de l’accusation et de la défense. Et il n’y a aucun doute possible.

 

(...)

 

GENERAL KRSTIC, VEUILLEZ VOUS LEVER

 

Que vous soyez un militaire professionnel aimant son métier, la Chambre ne le conteste pas. Que vous n’auriez pas, de vous même, décidé de passer par les armes des milliers de civils et de personnes désarmés, la Chambre peut l’admettre : il est vraisemblable que c’est un autre que vous qui a décidé d’ordonner l’exécution de tous les hommes en âge de combattre.

 

Mais il n’en demeure pas moins que vous êtes coupable, Général Krstic.

 

Vous êtes coupable d’avoir en toute connaissance de cause participé au transfert forcé organisé des femmes, des enfants et des vieillards qui se trouvaient à Srebrenica lors de l’attaque lancée le 6 juillet 1995 sur cette zone protégée des Nations Unies. Vous êtes coupable du meurtre de milliers de Musulmans de Bosnie entre le 10 et le 19 juillet 1995, qu’il s’agisse des meurtres commis de manière sporadique à Potocari ou des meurtres planifiés sous forme d’exécutions massives. Vous êtes coupable des souffrances incroyables endurées par les Musulmans de Bosnie, qu’il s’agisse de ceux qui se sont retrouvés à Potocari ou des survivants des exécutions. Vous êtes coupable de ces persécutions subies par les Musulmans de Bosnie de Srebrenica.

 

Vous êtes coupable, sachant que les femmes, les enfants et les vieillards de Srebrenica avaient été transférés, d’avoir adhéré au plan d’exécution massive de tous les hommes en âge de combattre. Vous êtes, donc coupable, Général Krstic, de génocide.

 

Pour déterminer la peine que vous méritez, nous avons naturellement pris en compte l’extrême gravité du crime. Mais nous avons également voulu marquer qu’il y a certainement, au regard des crimes commis sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, des personnes dont la responsabilité individuelle est bien supérieure à la vôtre.

 

Je souhaiterai faire ici une remarque personnelle. Kant disait que « si la justice est méconnue, la vie sur cette terre n’aura aucune valeur ».

 

(...)

 

En juillet 1995, Général Krstic, vous avez adhéré au mal.

 

C’est pour cela qu’aujourd’hui cette Chambre vous condamne et prononce à votre encontre la peine de 46 ans d’emprisonnement. L’audience est levée.

 

 

* * *

 

 

(Extraits du communiqué de presse O.F./S.I.P./609f du 2 août 2001)

 

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