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 TRIBUNAL
PÉNAL INTERNATIONAL POUR L'EX-YOUGOSLAVIE 
 
1er 
semestre 2002 
  
Le 
Procureur c/ Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic, 
IT-96-23 et IT-96-23/1-A, Chambre d’Appel, Arrêt, 12 Juin 2002 
(sur le site 
du TPIY : Arrêt 
HTML |
PDF - Communiqué de Presse N°
679) 
  
par 
Isabelle 
Moulier 
ATER à 
l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne 
  
  
 
Le 22 Février 2001, la Chambre 
de première instance II a reconnu coupables :  
- Dragoljub Kunarac de crimes 
contre l’humanité (réduction en esclavage, viol et torture) et de crimes de 
guerre (viol et torture), 
- Radomir Kovac de crimes contre 
l’humanité (réduction en esclavage et viol) et de crimes de guerre (atteinte à 
la dignité des personnes), et  
- Zoran Vukovic de crimes contre 
l’humanité (viol et torture) et de crimes de guerre (viol et torture). 
Elle les a respectivement 
condamnés à des peines uniques de 28, 20 et 12 ans d’emprisonnement. 
Les accusés ont subséquemment interjeté appel de cette décision, 
en contestant tant la matérialité des faits et actes retenus à leur charge que 
leur qualification juridique ainsi que les conséquences y attachées par les 
juges. 
Dans son arrêt du 12 juin 2002, 
la Chambre d’appel confirme le jugement de la Chambre de première instance. Même 
si elle accueille les seuls moyens de Kunarac et Vukovic relatifs à leur 
situation familiale qui aurait due être prise en compte par les juges, elle 
considère que la peine reste appropriée et la confirme aussi. Si la Chambre 
d’appel ne prétendait en l’espèce qu’expliciter le jugement de la Chambre de 
première instance, cette décision n’en apporte pas moins un éclairage bienvenu 
et d’utiles précisions notamment sur la qualification des crimes contre 
l'humanité, du viol et de la torture, aussi bien au titre de crimes contre 
l’humanité que de crimes de guerre.  
  
  
I. – CRIMES 
CONTRE L’HUMANITE EN DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER 
  
  
Après avoir réitéré une 
argumentation constante concernant les conditions générales applicables à tous 
les crimes contre l’humanité en droit international coutumier [Article 5 du 
Statut], 
la Chambre d’appel relativise quelque peu la condition ayant trait à l’existence 
d’une politique ou d’un plan. Elle considère en effet que tant le Statut que le 
droit international coutumier n’exigent pas que « l’attaque ou les actes des 
accusés » résultent d’une « politique ou d’un plan quelconque » comme les 
appelants entendaient le faire valoir. Si la démonstration de l’existence d’une 
politique ou d’un plan peut certes s’avérer « utile » et « pertinente  dans le 
cadre de l’administration de la preuve» du caractère « généralisé » ou 
« systématique » de l’attaque selon la Chambre d’appel, elle « ne saurait être 
considérée comme un élément constitutif du crime » (§ 98). La Chambre d’appel 
nuance ainsi en la présente espèce la condition traditionnellement requise par 
la jurisprudence antérieure, afférente à l’existence d’un plan ou d’une 
politique comme élément constitutif du crime contre l'humanité. La nuance ainsi 
apportée n’est pas dépourvue d’ambiguïté en ce qu’elle pourrait être interprétée 
comme remettant en cause le caractère organisé de la commission des crimes 
contre l’humanité, ce qui pourrait, à terme et en cas de confirmation 
ultérieure, étendre le cadre de la répression des crimes contre l'humanité à des 
actes plus isolés, estompant au final leur spécificité. 
  
  
II. – PRÉCISION RELATIVE AU LIEN EXISTANT ENTRE L’EMPLOI DE LA FORCE 
ET LE CONSENTEMENT DANS LE CADRE DE LA DÉFINITION DU CRIME DE VIOL 
  
  
Le viol apparaît explicitement 
dans le Statut du TPIY comme crime contre l’humanité (Article 5 g)). Mais c’est 
aussi un crime de guerre comme il résulte de l’interprétation généralement faite 
de l’Article 3 et que la Chambre de première instance avait déjà rappelée dans 
l’affaire Furundzija. 
Dans cette affaire, les juges avaient inscrit au centre de la définition du 
viol, l’emploi de la force ou la simple menace de son emploi. 
Utilisant une argumentation quasi identique (§ 125), les Appelants entendaient 
en l’espèce lui substituer une définition beaucoup plus restrictive en 
établissant que l’infraction ne saurait être caractérisée que lorsqu’était 
démontrée, en sus de la pénétration, l’existence de deux autres éléments 
consistant en « l’emploi de la force ou la menace de son emploi et, [en] une 
résistance “continue" ou "réelle" de la part de la victime » 
(§ 125), celle-ci devant en outre se manifester tout au long de la relation 
sexuelle, indiquant ainsi au violeur que ses avances n’étaient pas acceptées. La 
Chambre d’appel rejette vigoureusement cette « condition de résistance » qu’elle 
estime « aussi erronée en droit qu’absurde dans les faits » (§ 128). Selon elle, 
la Chambre de première instance, en plaçant le défaut de consentement de la 
victime au centre de la définition du crime de viol plutôt que le critère de 
l’emploi de la force ou la menace de son emploi – privilégié par la 
jurisprudence antérieure en tant qu’élément constitutif du viol 
–, n’a pas pour autant désavoué la définition antérieure. Elle l’a tout au 
contraire précisée en tentant d’expliquer le rôle que joue le lien existant 
entre l’emploi de la force dans la détermination du consentement de la victime. 
La Chambre d’appel conclut ainsi que « l’emploi de la force ou la menace de son 
emploi constitue certes une preuve irréfutable de l’absence de consentement, 
mais l’emploi de la force n’est pas en soi un élément constitutif du 
viol » (§ 129). Cette analyse empreinte de réalisme mérite d’être saluée en ce 
qu’elle relève qu’une définition du viol exclusivement fondée sur l’emploi de la 
force ou la menace de son emploi serait trop « restrictive » dans la mesure où 
elle pourrait, le cas échéant, « permettre aux auteurs de viols de se soustraire 
à leur responsabilité pour des actes sexuels qu’ils auraient imposés à des 
victimes non consentantes à la faveur de circonstances coercitives, mais sans 
pour autant recourir à la force physique » (§ 129). 
  
  
III. – CLARIFICATION DE LA NATURE JURIDIQUE DE LA TORTURE EN DROIT INTERNATIONAL 
HUMANITAIRE 
  
  
La torture est expressément 
incriminée au titre des crimes contre l’humanité dans le Statut du TPIY (Article 
5 f)), et comme crimes de guerre dans l’Article 3 § 1 a) commun aux conventions 
de Genève auxquelles renvoie le Statut du TPIY dans son Article 3. Si les 
Appelants ne contestent pas la définition de la torture donnée par la Chambre de 
première instance, 
ils considèrent toutefois que la présence des éléments constitutifs de 
l’infraction n’a pas été prouvée au-delà de tout doute raisonnable. Ils mettent 
notamment en exergue le fait qu’ils n’avaient pas l’intention d’infliger des 
douleurs ou des souffrances, leur but étant d’ordre purement sexuel. Tout en 
souscrivant largement à la définition de la torture donnée par la Chambre de 
première instance, la Chambre d’appel n’en tient pas moins à « clarifier la 
nature de la torture en droit international coutumier  telle qu’elle ressort de 
la Convention relative à la torture, en particulier en ce qui concerne la 
participation d’un agent de la fonction publique ou de toute autre personne 
n’agissant pas à titre privé » (§ 145), afin d’éviter toute controverse relative 
à l’appel, et pour marquer la constance de la jurisprudence du Tribunal (§ 145). 
La Chambre estime que la 
définition conventionnelle de la torture peut être considérée comme reflétant le 
droit international coutumier. Elle précise que la Convention ne lie que des 
États et que c’est à cette fin qu’elle traite des actes d’individus agissant à 
titre officiel. Cette condition est conçue comme une limitation des obligations 
des États qui ne sont tenus d’engager des poursuites pour actes de torture que 
si ceux-ci sont commis par un « agent de la fonction publique ou toute autre 
personne agissant à titre officiel » (Article 1er § 1 de la 
Convention contre la torture). Pour autant, la Chambre d’appel considère que 
« cette affirmation […] ne signifie pas que cette définition reflète 
totalement 
l’état du droit international coutumier en ce qui concerne la signification du 
terme torture en général » (§ 147) et elle estime à cet égard que la Chambre de 
première instance a affirmé à juste titre la non pertinence de la qualité 
d’« agent de la fonction publique » en droit international coutumier dans la 
détermination du crime hormis dans le cadre de la Convention de 1984 (§ 148). 
L’arrêt met ainsi fin aux controverses afférentes à la nature juridique de la 
torture en droit international coutumier, revenant par là même implicitement sur 
un point du jugement rendu par la Chambre de première instance en l’affaire 
Furundzija dans laquelle celle-ci avait considéré que la qualification du 
crime de torture dans le cadre des conflits armés exigeait qu’« au moins l’une 
des personnes associées à la séance de torture soit un responsable officiel ou, 
en tout cas, agisse non pas à titre privé mais, par exemple, en tant qu’organe 
de fait d’un Etat ou de toute autre entité investie d’un pouvoir ». 
Les Appelants ont, de plus, 
affirmé dans leur moyen que « la souffrance doit être visible, même longtemps 
après la commission des crimes qui l’ont provoquée » (§ 150). La Chambre d’appel 
rejette ce moyen au motif que, si « [l]a jurisprudence existante n’a pas 
déterminé en termes absolus le degré de souffrance à partir duquel la torture 
est réputée constituée » (§ 149), « certains actes établissent d’eux-mêmes la 
souffrance de ceux qui les subissent » (§ 150). Au nombre de tels actes, il y a 
« évidemment », selon les juges, le viol. Pour rejeter l’argument selon lequel 
l’intention d’ordre sexuel des accusés serait incompatible avec l’intention de 
commettre l’acte de torture, la Chambre d’appel met en exergue la nécessaire 
distinction entre le mobile et l’intention considérant que « même 
si le mobile de l’auteur du crime est d’ordre purement sexuel, il ne s’ensuit 
pas qu’il n’avait pas l’intention de commettre un acte de torture ou que son 
comportement ne cause pas à la victime une douleur ou des souffrances aiguës, 
qu’elles soient physiques ou mentales, puisque pareilles douleurs ou souffrances 
sont les conséquences probables et logiques de son comportement »(§ 153).  
  
  
Il faut encore ajouter que, 
s’agissant du cumul de déclarations de culpabilité, la Chambre d’appel confirme 
une jurisprudence constante relative à la possibilité de cumul entre les crimes 
contre l’humanité et les crimes de guerre. 
Elle rejette aussi les autres moyens relatifs au cumul abusif d’incriminations 
dans le seul Article 5 au motif que chacune de ces incriminations appelle un 
élément matériel différent. 
Quant à la déduction de la durée de la détention préventive de la peine inscrite 
au jugement, elle reconnaît la valeur juridique de la disposition orale, lors du 
prononcé de ladite peine, dans laquelle les Juges de première instance ont prévu 
la déduction de la détention préventive. La sentence doit donc être lue en 
conjonction avec cette déclaration. 
  
  
   
  NOTES 
  
   
   
   
   
  
  
  
  
   
  
   
  La Chambre d’appel renvoie sur ce point aux mémoires d’appel de Kunarac, de 
  Vukovic et de Kovac. Arrêt de la Chambre d’appel, 12 juin 2002, § 125, note 
  152. 
  
   
  
   
  Selon la Chambre de première instance, le crime de torture est fondé sur les 
  trois éléments constitutifs suivants :  
  
  i) 
  le fait d’infliger, par un acte ou une omission, une douleur ou des 
  souffrances aiguës, physiques ou mentales ;  
  
  ii) 
  un acte ou une omission délibérée ;  
  
  iii) 
  ayant pour but d’obtenir des renseignements ou des aveux, ou de punir, ou 
  d’intimider ou de contraindre la victime ou un tiers d’opérer une 
  discrimination pour quelque motif que ce soit.  
  
  Cf. Le Procureur c. 
  Dagoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic, IT-96-23 et IT-96-23/1, 
  Chambre de première instance II, Jugement, 22 février 2001, § 497.  
   
   
   
   
   
  
  
   
    
  
  
    
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Copyright : © 2002 Isabelle Moulier. Tous droits réservés.  | 
     
   
  
 
     
 
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